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prenait plaisir à assurer sir Charles Cornwallis qu’elle serait de nature à satisfaire à l’honneur comme au désir du roi d’Angleterre.

Sir Charles Cornwallis attendit pendant six semaines la réponse qu’on lui avait promise. Justement impatient, il demanda une nouvelle audience au roi Philippe III, qui, toujours embarrassé, le reçut très brièvement et le renvoya de nouveau au duc de Lerme. Aussi embarrassé que son roi, le premier ministre était de plus malade et retenu au lit par la fièvre : il essaya de renvoyer à son tour l’ambassadeur anglais à son secrétaire intime, don Juan des Idiaques: mais sir Charles Cornwallis s’assit auprès du lit, et après quelques circonlocutions caressantes : « J’userai avec vous, lui dit le duc de Lerme, d’une entière sincérité et droiture; la vérité est qu’avant l’ouverture que vous êtes venu nous faire de la part du roi votre maître au sujet de l’infante doña Anna, mon roi était engagé ailleurs; il a différé de vous répondre afin de voir s’il pourrait se dégager et accepter votre proposition. Cela lui est impossible, les promesses qu’il a faites pour sa fille aînée sont formelles et près de recevoir leur accomplissement; mais le roi mon maître a d’autres filles qui lui sont également chères : s’il convenait à votre roi de demander l’une d’elles pour le prince de Galles, le mien serait très disposé à accueillir ce vœu, pourvu que l’affaire de la religion pût être arrangée, et que le roi mon maître n’eût rien à craindre pour celle de sa fille. »

Outre l’infante Anne, Philippe III avait en effet deux autres filles, Marie et Marguerite; mais l’infante Marie, la plus âgée des deux, n’avait en 1611 que cinq ans. Sir Charles Cornwallis, sans répondre à cette nouvelle offre, s’étonna que l’ambassadeur d’Espagne à Londres eût été si peu informé des engagemens du roi son maître quant à l’infante Anne, qu’il eût pu dire et redire au roi d’Angleterre que, s’il demandait la main de cette princesse pour le prince de Galles, sa demande serait bien accueillie. De plus en plus embarrassé, le duc de Lerme essaya d’abord d’expliquer la conduite de l’ambassadeur espagnol; puis il la blâma, puis il rejeta la faute sur les hésitations du roi Jacques lui-même. « Il est vrai, dit-il, nous avions d’abord reconnu la convenance de ce mariage; mais, voyant que l’affaire n’avançait pas, le roi mon maître a pris la résolution, qui est maintenant près de s’accomplir, de donner sa fille aînée au roi de France. Toute autre manière d’entrer en alliance avec votre roi, en donnant au prince son fils une autre des infantes, sera bien venue de notre cour, si la question de la religion peut s’arranger. » Et les deux négociateurs se séparèrent de mauvaise humeur l’un et l’autre. « Je ne puis, écrivait sir Charles Cornwallis à Londres, comparer l’attitude de ces Espagnols envers nous qu’au temps qu’il a fait dans