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lait boire à votre santé, ce qui fut fait réciproquement par lui et moi, sans oublier les reines vos femmes et vos communs enfans, desquels me parlant il me dit tous bas à l’oreille qu’il allait boire au double parentale qui s’en devait faire, dont je fus étonné pour être la seule fois qu’il m’avait montré y penser, me semblant avoir pris le temps un peu mal à propos pour l’ouverture de chose si digne, et qu’il m’en devait avoir parlé auparavant. Je recueillis néanmoins cette parole avec quelque signe d’allégresse, et lui dis que votre majesté, étant recherchée d’Espagne pour monseigneur le dauphin, saurait bien choisir et faire différence entre l’alliance d’un bon frère et assuré ami, avec lequel il n’aurait jamais rien à quereller, et celui dont, jusqu’à cette heure, il n’avait reçu que des offenses. Lors il me dit qu’il en faisait ainsi, ayant été requis par les Espagnols du même mariage pour son fils, et qu’ils offraient cette infante à tout le monde, seulement pour abuser les princes. »

Les protestations et les caresses de Jacques, soit qu’il les fît avec faste ou à l’oreille, ne trompaient point la sagacité de Sully, et, en les transmettant à Henri IV, il lui faisait part en même temps de ses doutes et de ses méfiances. « Je vois ici, lui disait-il, un prince à l’entretenement duquel il y a grand plaisir et ne s’y saurait-on jamais ennuyer, car il sait beaucoup en toutes sortes de sciences, parle fort bien, prend plaisir que l’on discoure largement avec lui, et ne laisse rien qu’il n’examine, ni sur quoi il ne veuille être éclairci ; mais je crains qu’il n’ait plus de méditation que d’action….. Le secrétaire résidant ici pour la seigneurie de Venise m’est venu visiter, et m’a tenu plusieurs discours sur l’état présent des affaires, notamment sur l’incertitude où chacun était de la résolution de ce prince à cause des différens langages dont il usait, semblant qu’il eût pour seul but et dessein principal de ne se laisser encore entendre ni connaître absolument….. Et voici maintenant marcher en campagne les incertitudes ordinaires du monde, les mécontentemens publics et privés, les jalousies et envies des courtisans, et les brouilleries domestiques et du cabinet, non entièrement éclaircies, ni si bien discourues et particulièrement représentées qu’il serait nécessaire pour en pouvoir faire un jugement certain. » Les propositions de la cour de Madrid à Londres et l’accueil qu’elles y recevaient étaient surtout l’objet de la sollicitude de Sully; on annonçait la prochaine arrivée d’un ambassadeur. d’Espagne. « Le roi s’est enquis de moi, écrit-il à Henri[1], si l’ambassadeur d’Espagne avait passé en France; je lui dis que oui, et fis récit de ce que j’en avais appris; lors il répliqua : — On m’envoie un ambassadeur cour-

  1. Le 24 juin 1603, OEconomies royales, t. IV, p. 334, 347, 349, t, t. V, p. 6.