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versation et l’étude des affaires. George Villiers se prêta de bonne grâce aux recommandations du roi et n’en grandit que plus rapidement dans son exclusive faveur. En moins de sept ans, il fut fait gentilhomme de la chambre, maître des écuries royales, chevalier de la Jarretière, baron de Whaddon, vicomte Villiers, comte de Buckingham et conseiller privé, gardien des cinq ports, lord amiral d’Angleterre, chancelier de l’université de Cambridge, etc. Il jouissait de sa faveur avec fierté et de sa fortune avec magnificence, étalant partout, sur sa personne comme dans sa maison, dans ses habitudes quotidiennes comme dans les fêtes de cour, un luxe que n’avait atteint aucun de ses prédécesseurs, pas même Leicester sous Elisabeth. Le public l’admirait et s’en indignait tour à tour; on trouvait Buckingham le plus beau de tous quand il paraissait vêtu de velours blanc, avec des nœuds des plus riches couleurs, aussi éblouissant que les diamans et les perles dont ses vêtemens étaient couverts. On murmurait en revanche quand on le voyait passer dans une splendide chaise à porteurs, dont, le premier, il avait introduit à Londres l’usage. « Quelle indignité, disait-on, de faire faire à des hommes le métier des chevaux! » Il avait en lui-même, comme dans son extérieur, de quoi plaire et irriter à la fois. Aussi généreux que vaniteux, point fourbe, point hypocrite, sans bassesse dans ses vices, sans dureté envers ses inférieurs, libertin téméraire, patron fidèle, protecteur intelligent et libéral des arts, capable d’émotions affectueuses et patriotiques pour son maître et son pays, quoique prêt à tout sacrifier, sans scrupule et sans prévoyance, pour pousser sa fortune et satisfaire sa fantaisie, il avait des serviteurs dévoués, des amis sincères, et, malgré les difficultés chaque jour renaissantes d’une telle situation, il possédait la confiance du romanesque héritier du trône, comme la faveur du peureux et disgracieux monarque qui y était assis.

Mais deux grands défauts, source infaillible de grands périls, pesaient à leur insu sur ces trois hommes. Ils étaient tous trois imbus des maximes et des habitudes du pouvoir absolu à une époque où le pouvoir absolu, triomphant sur le continent, devenait en Angleterre inopportun et contesté. Ils venaient dans un grand temps et ils n’étaient point grands eux-mêmes; ils trouvaient pendantes de grandes questions naguère débattues entre de grands princes, et ils étaient incapables de les traiter au niveau de leurs prédécesseurs.

Le pouvoir absolu a ses conditions sociales et personnelles. Il est quelquefois naturel et nécessaire, mais il ne faut pas se méprendre sur son heure, et même à son heure une certaine mesure d’éclat et de respect public lui est nécessaire. Quand les peuples ont un souverain maître, au moins faut-il qu’ils ne le méprisent pas. Comme