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mets ton arme à sa place accoutumée, mon père. Mes frères et moi, allons éprouver nos forces ! »

« Sven se réjouit de ces paroles, et il obéit. Chacun des frères s’en va prendre résolument son bon fusil, le tire de sa gaine, le met sur son épaule, pendant que de l’autre main il saisit son court et redoutable épieu. Ainsi armés, ils s’en vont silencieux, mais résolus dans leur âme, quelque part qu’ils rencontrent la troupe ennemie, à la détruire ou à mourir sous ses coups.

« Ils avaient à peine marché dix minutes et avaient atteint le chemin étroit qui conduit à l’église. Rudolf dit à ses frères : « Suivez le chemin jusqu’à ce que vous ayez atteint la courbure du lac, à l’entrée de la vallée, un peu plus loin encore, parmi les pins et la bruyère ;… c’est là que nous attendrons l’ennemi. Il ne viendra sans doute pas avant le soir, si d’abord il veut s’occuper de ravager et de piller ; moi, je vais m’arrêter un instant dans ce hameau sombre, ici près du chemin, où ma fiancée m’attend. »

« Les cinq frères, marchant lentement, atteignent le lieu désigné, sur les bords du lac, où les sapins s’élèvent et dominent le chemin de la vallée. Cachés adroitement dans les replis du bois, ils examinent la route au loin. En aussi peu de temps qu’il en faut au chasseur, quand, de sa hutte de sapin, il épie dès l’aurore, un jour de printemps, les jeux amoureux du coq de bruyère, pour voir s’abaisser sur terre le fier animal, qui fait retentir de son cri le lac et ses bords, aussi promptement les cinq frères voient arriver en hâte la troupe des ennemis détestés, qui s’élancent en avant, les lances au poing.

« Otto, le frère jumeau de Rudolf, les a le premier aperçus : « Aux armes ! mes frères, tirez vos fusils des fourreaux, et, aussitôt que l’ennemi aura atteint l’extrémité du ruisseau, de l’autre côté de la vallée, que celui qui aura une balle toute prête commence le feu ! »

« Il dit ; au même instant que la petite troupe ennemie a franchi au trot de ses chevaux le revers de la colline, et au premier pas qu’elle fait pour la descendre, retentissent en même temps les coups de feu des cinq frères. Leurs balles vont se refroidir dans quatre têtes ; une tête en a reçu deux. Quatre chevaux s’échappent sans cavaliers, les seize autres sont retenus par leurs maîtres surpris. « Frères, chargez ! » crie alors Otto, qui sort hardiment de sa retraite. Mais déjà la troupe ennemie est prête et s’élance à l’attaque. À peine les assaillans ont-ils pu charger leurs armes et se préparer à faire feu pour la seconde fois que les ennemis dépassent le ruisseau, et, se répandant sur la plaine, se précipitent les lances en avant ; avec leurs épieux, maniés de leurs mains fermes, les cinq frères marchent courageusement sur eux.

« Le combat commence avec cris et fracas, personne ne fléchit ni ne gagne du terrain ; mais un coup de pistolet renverse Eric le premier ; Ulrik le venge d’un coup d’épieu. Le combat s’échauffe, les blessures s’échangent ; six des