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sières, qui est au contraire un drame d’immolation et de sacrifice s’accomplissant au sein de la plus riante nature, en Italie, à Rome, à Naples, devant l’éclat du ciel et la majesté des monumens. Cornélie est l’histoire des amours épurées, inavouées, touchantes et impossibles d’une fière Anglaise, lady Salmere, et du jeune peintre Wilfrid ; amours impossibles, dis-je, non-seulement parce que la fierté de lady Salmere ne se prêterait pas à une liaison vulgaire, mais encore par suite de cette mystérieuse fatalité qui fait que Wilfrid se trouve, en fin de compte, être l’enfant de lord Salmere lui-même et d’une noble Italienne morte depuis longtemps. Lady Salmere est une Phèdre chrétienne qui, en s’occupant sans cesse du jeune peintre qu’elle protège, met la main sur son cœur pour en comprimer les battemens. Wilfrid est un autre Hippolyte qui sent avec effroi la passion grandir dans son âme, et qui cache son secret. Il meurt à la peine, tandis que lady Salmere finit par se faire catholique et sœur de charité. Il y a plus d’une scène délicate dans Cornélie ; malheureusement la main qui a ourdi le tissu est accoutumée à remuer des questions d’histoire, d’économie politique, et il en résulte une certaine confusion de tons, certains procédés de narration, une tension, qui embarrassent un peu la marche du récit. On sent un peu trop l’économiste et l’érudit.

Et puis, quand on se mêle de politique, on en met partout, même dans un roman. La politique dans Cornélie est bien représentée par quelques conspirateurs, mais elle se personnifie surtout dans lord Salmere, le type de l’Anglais dominateur et magnifique, faisant partout où il passe les affaires de son pays. En Italie, lord Salmere sert l’Angleterre en servant la révolution, et si la péninsule est aujourd’hui ce qu’elle est, c’est le grand Anglais qui a tout fait par haine de la France et de la papauté, dont les causes sont politiquement communes. C’est lui qui pendant quelques années a tout fait par sa diplomatie habile pour préparer les événemens qui sont survenus, si bien qu’avant de mourir, après la guerre d’Italie, nous dit l’auteur, « il put voir poindre toutes les conséquences de la politique qu’il avait si habilement travaillé à faire prévaloir : le monde latin divisé, la France en train de perdre au profit de l’Autriche le prestige de gardienne du catholicisme, l’Italie dans l’anarchie et sur les bras de la France, la couronne de Naples vacante et l’Angleterre profitant de toutes ces divisions… » Lord Salmere a vu là bien des choses avant de mourir, et il est dommage qu’il n’ait pas vécu pour en voir bien d’autres encore. Ce sont là évidemment de bien grosses questions pour un roman. J’aime mieux les nobles et délicates amours de la fière lady Salmere et du jeune peintre Wilfrid.

Il est donc vrai que le roman est placé entre tous les écueils : s’il n’est pas réaliste, s’il ne sert pas la doctrine de l’art pour l’art, il se perd dans l’idéalité ou se mêle à la politique. Entre ces deux extrêmes, il y a heureusement la vie humaine à observer, l’âme à interroger, les caractères à peindre, les mœurs, les ridicules à représenter. Et c’est là certes une