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la chance d’un changement de gouvernement au Mexique, vous avez pris la résiliation d’aider au renversement du gouvernement actuel, et vous songiez à favoriser la substitution d’une monarchie à la forme républicaine ; vous couriez donc de votre propre aveu au-devant d’une guerre qui, de la part de vos adversaires, pouvait devenir une guerre nationale, la guerre d’un peuple, quelque dégradé qu’il soit, qui détend contre l’étranger ses institutions et son indépendance ! Et pour accomplir un tel dessein vous avez commencé par envoyer à deux mille lieues de la France, sur une côte malsaine, deux mille hommes dépourvus de moyens de transport ! Mais en politique ne pas proportionner ses moyens d’action à ses vues, c’est se condamner à n’être plus maître de sa conduite future, c’est se livrer à la merci des accidens. L’événement vous l’a prouvé tout de suite, et votre première petite troupe expéditionnaire, pour avoir un campement salubre, a été obligée de l’accepter dans une stipulation d’armistice de cet ennemi même que vous ne vouliez pas reconnaître comme un gouvernement de fait, et avec qui vous ne vouliez pas traiter ! Vous avez ainsi, dès le début, perdu, faute de prévoyance, votre liberté d’action. — Mais, dites-vous, nous avions des alliés sur le concours desquels nous devions compter, et qui ont trompé nos espérances. — Ici encore se sont reproduites les mêmes contradictions. L’on s’embarquait à trois dans une action commune ; or chacun parmi ces trois avait une opinion différente sur l’objet le plus grave de l’expédition : la question du gouvernement mexicain à renverser ou à réformer. M. Billault l’a reconnu avec franchise : ni l’Angleterre, ni l’Espagne, ni la France n’avaient à ce sujet le même avis. L’Angleterre, qui ne fait pas métier de renverser ou d’établir des gouvernemens chez les peuples étrangers, l’Angleterre, qui reconnaît toujours les gouvernemens de facto, ne pouvait se proposer comme un but avouable la destruction de la république au Mexique et s’interdire la faculté de traiter avec Juarez. L’Espagne, dit-on, n’était pas gênée par ces scrupules ; mais elle avait laissé voir clairement qu’elle ne prêterait pas les mains à l’érection d’un trône au Mexique, si ce n’est au profit d’un prince de la maison de Bourbon. La France, au dire de M. Billault, avait une opinion intermédiaire : entre l’Angleterre et l’Espagne, elle occupait le juste milieu ; c’était elle qui représentait la sagesse ! Soit ; mais était-il sage à elle d’attendre l’unité d’action de trois intérêts différens et de trois opinions diverses ? Lorsqu’on a été assez chimérique pour croire à un tel miracle, est-on bien venu à se plaindre de la défection d’alliés sur lesquels on n’avait pas raisonnablement le droit de compter, et peut-on espérer de se décharger de sa faute en essayant, avec beaucoup de ménagemens, de la faire glisser sur les épaules de l’Angleterre, et, avec une mauvaise humeur moins contenue, de la reporter sur l’Espagne ? Enfin, de pareilles divergences dans les intentions existant dès l’origine, on ne s’explique pas comment on a pu laisser prendre à l’Espagne la supériorité des forces dans l’expédition active. Le général Prim disposait de sept ou huit