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à Vasari, sa légende dorée de l’art. Maîtres de l’opinion au XVIe et au XVIIe " siècle, les Italiens dispensèrent trop souvent la renommée selon leurs préventions ou leurs dédains. Sans contredit, la France du XIIe et du XIIIe siècle posséda dans son sein un mouvement d’écoles comparable à celui de l’Italie du XIVe siècle; mais elle n’eut pas de narrateur légendaire pour ce grand développement. Ses génies créateurs ne sont guère connus que de nom ou par les chétives images qui nous les montrent sur le pavé de leurs églises, revêtus de l’humble manteau de l’ouvrier, La façon dont leurs œuvres furent traitées a été bien plus déplorable encore. La France a toujours eu le tort de détruire quand elle a voulu bâtir. Trois ou quatre fois au moins la France a changé de face, et chaque fois elle s’est crue obligée de faire table rase du passé. La renaissance eût volontiers supprimé les édifices gothiques du moyen âge; les amateurs du style classique du XVIIe siècle crurent bien servir la cause de l’art en effaçant la trace de constructions qu’ils tenaient pour irrégulières. De nos jours enfin, il semble qu’on s’efforce, en détruisant jusqu’aux vestiges des fondations anciennes, de rendre toute image du passé impossible et de dérouter jusqu’aux souvenirs. L’Italie au contraire, même au temps de Raphaël, n’effaça jamais un Giotto. Ses vieilles écoles lui furent toujours chères. La perfection de l’âge classique ne la rendit pas injuste pour la naïveté des époques de tâtonnements L’attention que Vasari accorde aux anciens maîtres eût passé en France pour puérile, les essais des époques primitives y paraissant tout simplement grotesques ou barbares.

La fortune de l’art italien tient donc à des causes profondes et à la supériorité même du génie de l’Italie. Avant tout autre pays en Europe, l’Italie attacha un sens au mot de gloire et travailla pour la postérité. Le respect des origines tient chez elle au même principe. L’art étant pour l’Italie la réalisation du beau, non un caprice futile, elle n’éprouva pas le fatal besoin de sacrifier les œuvres du passé aux convenances des artistes à la mode. Toutes les couches de l’histoire de l’art sont représentées sur son sol. Chacun de ses chefs-d’œuvre a un nom, une date, une légende. Si elle eût eu nos architectes du XIIe et du XIIIe siècle, elle eût égalé leur gloire à celle des Bramante et des Michel-Ange. Même les noms obscurs des Colart de Laon, des Girard d’Orléans, seraient chez elle inscrits au livre d’or. Chez nous, ils n’ont échappé à l’oubli que par le hasard qui les a fait figurer sur d’insipides registres de dépenses, mêlés aux détails les plus vulgaires, illacryinabiles,... carent quia vate sacro.

En somme, si notre art du moyen âge n’a pas vécu, ce n’est pas le caprice du XVIe siècle qu’il en faut accuser; c’est qu’il manquait des conditions nécessaires pour arriver à la pleine réalisation du