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tout à fait teutoniques. Ainsi le saint Jean, couché sur son divin maître, semble affublé d’une énorme perruque ; le saint Jacques n’a guère moins de cheveux, et ils sont encore plus bouclés. Quant à la tête du Sauveur, elle est sénile et débonnaire, et le saint Pierre est larmoyant. N’est-ce pas assez dire que si cette gravure reproduit les données principales du cénacle de S. Onofrio, elle n’en est, à bien prendre, que la caricature ?

Qu’y a-t-il donc là qui permette de dire, comme le fait M. Passavant, que le graveur a travaillé d’après une œuvre originale du Pérugin ? Quoi de commun entre le Pérugin, même dans ses moins bons jours, et ces lourdes figures, ces gros visages, ce désordre de draperies, ces plis cassés à l’allemande ? La méprise n’est-elle pas étrange ? Ce qu’il y a de péruginesque dans la fresque de S. Onofrio est précisément ce qui, dans la gravure, a complètement disparu, si bien qu’à prendre cette planche telle qu’elle est, et à juger de l’original par la copie, ce serait de quelque Allobroge, de quelque peintre italo-germanique, que le graveur aurait dû s’inspirer. Or de deux choses l’une : si vous supposez que la gravure est antérieure à la fresque et qu’elle en est le germe, l’idée première, vous devez convenir que, pour transfigurer un si grossier modèle et en tirer tant de nobles et suaves créations, ce n’était pas trop d’un Raphaël ; si au contraire vous admettez que c’est la fresque qui est antérieure, alors à quel propos citez-vous la gravure, et quelle argumentation en pouvez-vous tirer ? Or l’antériorité de la fresque ne peut pas faire question : elle est du commencement du XVIe siècle ; la gravure est du milieu, peut-être même de la fin. Le style de l’architecture ne permet pas de s’y tromper. Au lieu des motifs délicats dans le goût du Bramante qui décorent le portique de la fresque, vous ne trouvez dans la gravure que de lourdes moulures, des pilastres contournés en forme de candélabres, des chapiteaux composites, épais et écrasés, en un mot tous les caractères de la décadence italienne doublée de lourdeur germanique. Évidemment cette gravure est l’œuvre de quelque artiste, enfant de l’Allemagne, qui avait entrevu la fresque de S. Onofrio ou en avait connu soit le carton, soit l’ébauche, et qui, ne gardant dans sa mémoire que les principaux linéamens, avait suppléé de lui-même aux détails qui lui faisaient défaut. On voit, dans tous les cas, que ce document n’est d’aucune conséquence pour la question qui nous occupe, et qu’on ne peut comprendre le bruit qu’on en a fait.

En somme, toutes les objections, toutes les conjectures, aussi bien de M. Passavant que des éditeurs de Vasari, sont de nature si légère que nous aurions bien pu les traiter moins sérieusement. Si d’autres hommes les avaient présentées, notre réfutation aurait été