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Il a vu au British Museum une tête de saint Joseph dessinée, dit-on, par le Spagna, cet élève du Pérugin dont Vasari dit quelques mots sans lui donner une bien haute place, et qui n’est guère connu qu’en Italie, notamment à Assise et à Spoleto, où sont encore quelques tableaux de lui. Dans ce dessin, M. Passavant croit reconnaître le même faire que dans les fragmens d’études provenant du palais Michellozzi, et maintenant exposés en face de la fresque dans le réfectoire de S. Onofrio, d’où il conclut que ces études sont de la main du Spagna et non de celle de Raphaël, quoi qu’en dise la tradition. Or, puisque les études sont incontestablement les préparations de la fresque, qui a fait les unes a dû faire l’autre, et c’est ainsi que M. Passavant est logiquement conduit à nous dire que l’auteur du Cenacolo n’est autre que le Spagna. Ainsi, grâce à ce dessin du British Museum, d’une attribution plus ou moins incertaine, voilà un grand peintre de plus! voilà le Spagna subitement élevé à l’honneur d’avoir fait un chef-d’œuvre!

Notez que, quand bien même la tradition qui attribue à Raphaël les études trouvées chez les Michellozzi ne serait pas tout à fait exacte, ce qui est très loin d’être prouvé, quand bien même ces détails préparatoires ne seraient pas de sa propre main, il ne s’ensuivrait nullement que la fresque ne fût pas de lui. Jamais Raphaël, dites-vous, dans ses dessins à la pointe rehaussés de blanc, n’a fait usage du lavis, jamais surtout il ne s’est permis cette légère coloration que vous remarquez sur un de ces fragmens : l’assertion est tout au moins douteuse et voudrait être vérifiée; mais tenons-la pour bonne. J’admets, puisqu’on le veut, que ces dessins ne sont pas l’œuvre du jeune maître d’Urbin, qu’ils proviennent d’un de ses condisciples, d’un auxiliaire, d’un Ombrien quelconque, et qui sait? du Spagna lui-même, à supposer qu’il ait jamais mis les pieds à Florence, ce que Vasari n’a pas l’air d’admettre, puisqu’il ne le fait quitter Pérouse que pour venir droit à Spoleto, s’y établir et y mourir. N’importe, je suppose qu’il se soit trouvé là tout exprès, que ces dessins soient de sa main; vous n’en avez pas moins un abîme à franchir pour nous faire accepter qu’il ait conçu, composé, dessiné cet admirable ensemble avec ce style, cette pureté, ce calme, cette grandeur, cette simplicité.

M. Passavant ne se dissimule pas ce que sa gageure a de téméraire. Il avoue qu’au premier aspect cette fresque reproduit les principaux caractères du style de Raphaël. Lui-même, en la décrivant, il retrouve son admiration première, reconnaît et professe ce qu’il avait si bien reconnu et professé avant que sa visite au British Museum et je ne sais quel désir de ne pas trop déplaire à ses compatriotes de Florence lui eussent suggéré l’idée de bâtir un roman. « Judas Iscariote, dit-il, assis en face du Seigneur, détourne