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saint Jean selon le vieil usa<o, sans tenir aucun compte ni des progrès du temps ni même de l’exemple du puissant Léonard. Admettre le contraire, c’est ne pas voir, selon nous, un des traits caractéristiques, un des plus délicieux contrastes de ce charmant génie, c’est omettre à plaisir toute une phase de son histoire.

Et maintenant est-il vrai que dans cette fresque les têtes soient trop grosses et d’un tout autre type que dans certains tableaux de Raphaël peints vers la même époque et d’origine incontestée ? À ces questions la réponse est facile ; il ne faut que des yeux et un compas. Mesurez ces têtes et ces corps, non-seulement les proportions sont justes, elles sont plutôt sveltes que ramassées. Vous en pouvez juger surtout par ces deux apôtres placés aux deux bouts de la table, le saint Jacques et le saint Thaddée. Bien qu’assis comme les autres, ils ne sont pas comme eux cachés en partie par la nappe ; on peut les voir tout entiers. Développez-les, supposez-les debout, et mesurez. Ils ont près de huit fois la hauteur de leurs têtes, ce qui donne à la tête, relativement au corps, la plus petite dimension possible. Je ne sais donc, en vérité, ce qu’on a voulu dire en parlant de la grosseur de ces têtes, et quant aux types des figures, la querelle sur ce point ne me semble pas moins étrange. Si quelque chose est évident, c’est que tous ces personnages sont plus ou moins parens, et quelques-uns très proches, de ceux que Raphaël a maintes fois reproduits dans les œuvres de sa jeunesse. Nous avons déjà dit à quel point cette figure du Christ rappelle celle de la fresque de San-Severo, combien la ressemblance est grande entre ce saint André et le David de la Dispute du Saint-Sacrement comment ce saint Jacques Mineur n’est autre que Raphaël lui-même, car c’est bien ce gracieux visage si souvent répété dans les tableaux du jeune maître, et qui passe à bon droit pour sa propre figure. Nous pourrions ajouter que le saint Pierre est ici exactement le même que dans la Déposition au tombeau de la galerie Borghèse. Et à propos de chacun de ces apôtres rien ne serait plus facile que d’indiquer d’autres analogies non moins incontestables. C’est donc nier l’évidence que de proclamer cette soi-disant différence de types : la similitude au contraire est un fait manifeste; nous acceptons pour juge quiconque se donnera la peine de faire la moindre comparaison.

Même dans le Couronnement de la Vierge, si les apôtres ne rappellent pas, traits pour traits, ceux de la fresque florentine, il n’y en a pas moins entre eux un grand air de famille. Et puisqu’on parle de ce tableau, autrefois à Pérouse et maintenant au Vatican, qu’on me permette aussi d’en dire quelques mots : il est très mutilé, grâce aux restaurations, et cependant bien précieux encore par la coexistence de deux styles tout différens, la pure et simple imitation, la