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certaines personnes. On reconnaît leur étonnante précocité, on ne nie pas la puissance d’assimilation qui les distingue, on les accuse seulement de ne donner qu’une viande molle, trop grasse et trop fade. Nous ne prétendrons jamais que la chair d’une bête engraissée fort jeune et en très peu de temps puisse avoir autant de saveur que la chair d’un animal plus tardif; mais, en ayant soin de nourrir médiocrement et d’abattre avant un complet engraissement les porcs dont il s’agit, on remédierait en grande partie à l’excès de graisse et à la mollesse de fibre que l’on reproche aux races anglaises. Nous devons avouer cependant que ces races nouvelles ne peuvent pas convenir aux cultivateurs du centre et du midi, qui mènent aux champs ou dans les bois leurs troupeaux de cochons. Il faut, pour se plier à un tel régime, des bêtes plus marcheuses que les berkshire ou les essex. Dans plusieurs localités du centre et de l’ouest, dans le Périgord, etc., l’élève des cochons constitue une industrie spéciale. On entretient des truies que l’on fait porter, et les petits sont vendus dès l’âge de six semaines à d’autres cultivateurs qui les gardent plus ou moins longtemps et qui finissent par les revendre à des engraisseurs, ou par les engraisser pour leur propre compte.

Le commerce des cochons de lait donne lieu en France à d’importantes transactions qui ne s’effectuent pas exclusivement entre nos diverses provinces; elles s’étendent jusqu’aux pays étrangers, et principalement en Belgique, d’où nous tirons chaque année un très grand nombre de petits cochons[1].

Les truies ne sont pas d’aussi bonnes mères que les femelles de nos autres espèces domestiques. Pour peu que la faim les sollicite et qu’on les ait habituées à une nourriture animale, elles n’hésitent pas à manger leurs petits; mais leur fécondité est extrême : il n’est pas rare de compter une dizaine de gorets par portée, quelquefois on en compte jusqu’à quinze. Chacun d’eux adopte une tétine, et il est parfois amusant de voir la mère couchée sur le flanc pour allaiter sa nombreuse et vorace famille. On dirait une bande d’animaux lilliputiens acharnés sur le ventre d’une énorme bête qu’ils ne peuvent, malgré tous leurs efforts, parvenir à troubler. Vauban a calculé qu’une seule truie, dont les portées seraient aussi précoces, aussi rapprochées et aussi fécondes que possible, et dont toute la famille se reproduirait avec une égale activité, deviendrait, après une série de dix générations, la souche de six millions d’individus. On ne doit pas, dans la pratique agricole, baser ses prévisions sur une telle fécondité; mais l’élevage des gorets n’est nulle part difficile. Malheureusement le commerce des petits cochons, comme ce-

  1. Sur 4,102,440 bêtes porcines importées de 1827 à 1856, il y avait 3,775,660 cochons de lait, tandis qu’on n’en voit figurer que 431,280 dans le total de 1,026,630 bêtes exportées pendant la même période.