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cieuse missive, put annoncer bientôt à sa protectrice son arrivée et son mariage. Il le fit dans des vers simples et touchans qui nous sont restés.


« O reine, lui écrivait-il, quand j’arrivai ici dans l’attirail ordinaire des prétendans, demandant la main d’une épouse, je n’avais à promettre ni pâturages couverts de troupeaux, ni collines ombragées de vignobles, ni forêts d’oliviers balançant leur chevelure verdâtre, ni moissons tombant sous des milliers de faucilles, ni faîtes de palais superbes reposant sur des poutres dorées : je ne dis rien de tout cela ; mais une déesse ordonnait. Votre lettre, ô Sérène, m’a tenu lieu de palais, de moissons, de troupeaux ; elle a fléchi l’orgueil des parens et couvert de la majesté de votre nom la pauvreté du poète. Qui vous résisterait ? Vous possédez l’empire des cœurs en même temps que celui de la terre. »


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Cinq ans s’étaient écoulés depuis que le fondateur de l’unité catholique était mort à Milan, laissant son œuvre inachevée. Ses derniers conseils, ses derniers ordres, son testament enfin, signalaient un retour à des sentimens moins exclusifs que ceux qui avaient guidé sa vie. Un décret d’amnistie, qui ne reçut son exécution que plus tard et par catégories, parut ouvrir une ère nouvelle dans le gouvernement religieux et politique de l’Occident. Armé de ce décret et des confidences de l’empereur mourant, Stilicon se porta aux yeux du monde pour le dépositaire d’une pensée de Théodose, rendue sienne par l’exécution. Les débuts de sa régence durent en effet surprendre les esprits au lendemain d’une guerre faite pour briser l’opposition païenne du sénat, abaisser une aristocratie factieuse, et faire prévaloir en Occident, comme principe politique autant que religieux, l’unité catholique, déjà maîtresse en Orient. Deux partis en présence, deux armées prêtes à renouveler la lutte, car celle d’Eugène, vaincue à la Rivière-Froide, voulait et pouvait prendre sa revanche ; la dévastation promenée sur l’Italie, dans Rome peut-être ; les confiscations déjà commencées ; les exils, les fuites volontaires, les dégradations et les sévices suspendus sur les plus hautes têtes, voilà ce qui affligeait ou menaçait l’Italie, quand Stilicon parla d’oubli. Il y eut un moment d’émotion générale et d’étonnement plutôt que de reconnaissance. Le débat sur l’Illyrie orientale, l’antagonisme passionné de Rufin, le passage d’Alaric en Grèce, détournèrent ensuite l’attention : les armées se réconcilièrent sous le drapeau, et les partis civils restèrent seuls.

Le premier, qui avait sans cesse à la bouche sa victoire et sa force, et traitait presque l’Italie en pays conquis, était le parti de l’unité