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avant-goût de la poésie moderne : j’en transcrirai quelques-unes en terminant.


« Heureuse celle qui bientôt te donnera le nom d’époux et échangera avec toi les prémices de son amour !

« Que la nature entière partage leur bonheur! Le printemps est l’âge nuptial du monde : terre, couronne-toi de toutes ses fleurs, c’est l’hymen de ton maître qu’il faut célébrer. Les forêts et les fleuves mêleront leurs voix au bruissement profond de l’océan.

« Plaines de la Ligurie, monts des Vénètes, applaudissez! Que les sommets des Alpes se parent des roses de la vallée, et qu’une teinte de pourpre colore la blancheur de leurs neiges!

« Que l’Adige retentisse du bruit des chants et des danses, que le sinueux Mincio murmure doucement dans ses roseaux, que l’Éridan réponde par les frémissemens de ses aulnes aux larmes d’ambre!

« Qu’au sortir des festins, le descendant de Quirinus ébranle par ses cris joyeux les échos du Tibre, et qu’enivrée du bonheur de son maître, Rome, la ville d’or, couronne ses sept collines!

« L’Ibérie surtout entendra nos chants, l’Ibérie, berceau de nos princes. C’est là que naquit le père de l’époux, là que naquit la mère de l’épouse, et comme deux branches du même fleuve, après s’être séparées, confondent de nouveau leur cours, deux rameaux du tronc des césars se relient à la souche commune... Que l’Orient et l’Occident, rangés sous le sceptre de deux frères, n’isolent plus leur bonheur, et que les cités romaines s’unissent en paix dans un même applaudissement, soit que le soleil les salue à son lever, soit qu’il leur adresse à son coucher un dernier regard! »


Et, peut-être par un secret retour aux discordes fatales qui troublaient les deux empires et remplissaient les esprits de sombres présages, le poète s’écrie brusquement, comme s’il eût voulu conjurer les dangers qui menaçaient l’Italie à l’est, comme au nord, comme au midi :


«Silence, orageux aquilons; silence, impétueux Corus, et toi, bruyant Auster, silence! Zéphire seul a droit de régner sur une année de bonheur. »


Ces vers, où Claudien avait mis ses plus nobles inspirations et, on peut le dire, toute son âme, reçurent une récompense digne du poète et du sujet. Il avait laissé dans Alexandrie d’Egypte, sa patrie, une jeune fille dont il souhaitait ardemment la main ; mais il était pauvre, quoique déjà couvert de gloire, et les parens de l’Egyptienne, peu soucieux de pareils trésors, repoussaient obstinément sa poursuite. Sérène, sa confidente, se chargea de lever les obstacles : elle écrivit aux parens une lettre devant laquelle toute résistance devait céder, et Claudien, parti pour l’Egypte avec la pré-