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l’éclat, dont elle était avide, la puissance, qu’elle ne convoitait pas moins. Stilicon, entraîné dans quelque expédition lointaine, était-il attaqué à la cour, elle veillait sur lui du fond du palais, dévoilait les impostures, confondait les calomniateurs, et le faisait redouter même absent. Dans les jours de péril ou d’inquiétude pour ce mari si cher, on la trouvait au pied des autels, priant avec larmes, le front contre terre, et balayant de ses longs cheveux le pavé du temple. Si grand honneur que fissent rejaillir sur elle et la régence d’Occident léguée à Stilicon et les fiançailles de sa fille Marie avec le jeune maître de l’empire, son ambition n’était pourtant satisfaite qu’à demi; elle méditait un second mariage entre son fils Euchérius et la jeune Galla Placidia, issue du second lit de Théodose, afin que la couronne impériale restât dans sa famille à tout événement. Euchérius, né en 389, avait tout au plus neuf ans à l’époque où commence ce récit, et Placidie n’en comptait guère davantage. Tout ce qu’il y avait à Rome de professeurs illustres, de philosophes en renom, se pressait autour de ce jeune homme pour le rendre digne de son père et de son aïeul, et Claudien peut-être lui donna les premières leçons de poésie. Jamais prince né sous la pourpre ne fut l’objet de tant d’adulations et d’espérances. Le peuple s’intéressait à lui comme à un maître futur de ses destinées : on aimait à le voir, au champ de mars, maîtriser de sa faible main un coursier fougueux ou forcer un cerf dans la plaine; mais toutes ces admirations n’allaient point au cœur de Placidie. L’altière jeune fille, qui pour longtemps ne devait connaître d’autres passions que l’orgueil et la haine, s’irritait à ces empressemens comme à une insulte pour son propre sang, et confondait dans une même colère et le père et la mère et ses sœurs futures, et l’enfant compagnon de ses jeux.

Trois ans s’étaient écoulés depuis les fiançailles d’Honorius et de Marie, célébrées au lit de mort de Théodose; les deux jeunes gens avaient grandi l’un près de l’autre, et Honorius touchait à sa quatorzième année, époque de la majorité des césars. Plus tourmenté par son imagination que par ses sens (la suite ne le prouva que trop), il réclamait avec ardeur la conclusion d’un hymen dont l’engagement remontait déjà si loin; Sérène n’était pas moins impatiente de joindre à tous ses titres celui de mère de l’impératrice, et quant à Stilicon, il sentait le besoin de relier à la chaîne du gendre celle du pupille, qui allait bientôt se briser. Tout le monde fut donc d’accord pour hâter le mariage avant que les quatorze ans d’Honorius fussent accomplis. Les circonstances politiques conseillaient d’ailleurs ce parti : l’expédition d’Afrique contre Gildon venait de commencer avec des chances incertaines; Alaric affichait une attitude