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lettres grecques et latines lui devinrent assez familières pour qu’elle fût plus tard la meilleure institutrice de ses filles. L’âge développa chez elle une beauté mâle, des traits réguliers, une taille majestueuse; elle était blonde, quoique Espagnole : à cet extérieur, qui dénotait la force, se joignaient un esprit ferme et résolu et des goûts sérieux jusqu’à l’austérité. Les lectures graves lui plaisaient par-dessus tout : ce qu’elle admirait enfant et se proposait d’imiter plus tard, c’étaient les héroïnes de l’histoire romaine, ces grandes matrones, qui dominent à ses commencemens l’épopée des sept collines, Lucrèce, Camille, Virginie; les héroïnes de la poésie l’attiraient moins : elle dédaignait Hélène, et, loin de pleurer comme Augustin sur les tendres malheurs de Didon, elle n’excusait d’elle que sa mort. Voilà comment nous la représentent les contemporains. Théodose trouva dans cette âme si bien trempée les soins d’une conseillère discrète, en même temps que la sollicitude d’une fille dévouée. Ce prince si éminent dans le bien, et toujours si près du mal quand la colère le dominait, avait besoin d’une main amie qui le retînt près de l’abîme où il a laissé une partie de sa gloire. Sa femme Flaccille accourait la première, et là où elle avait échoué, Sérène pouvait encore être écoutée. «Elle savait, nous dit le poète qui connut tous leurs secrets, elle savait par de douces paroles guérir son esprit malade, et détourner par des entretiens pleins de charme et de sens des transports furieux près d’éclater. » Plus d’une fois ainsi elle rendit Théodose à lui-même en dépit des ministres pervers qui l’égaraient en lui montrant ses offenses personnelles toujours mêlées à la cause de Dieu. Ce ministère de paix et de raison fut pendant de longues années celui de Sérène près de son père adoptif. Après le second mariage de Théodose, elle servit de mère aux enfans du premier lit ; on raconte même que dans l’hiver de 395 elle traversa les Alpes, par un froid rigoureux, réchauffant sur son sein le jeune Honorius, que Théodose appelait à Milan pour le couronner empereur d’Occident. Son affection n’était pas moindre pour Arcadius; l’histoire lui rend ce témoignage, qu’à toutes les époques elle s’employa activement pour calmer entre les deux frères les rancunes et les haines que tant d’autres s’employaient à exciter.

Sérène pouvait choisir un mari dans toute la jeunesse patricienne : elle accepta, des mains de son oncle, Stilicon, chez qui perçaient les indices de la plus haute fortune, et en épousant ce Vandale elle crut se donner au plus distingué des Romains. Elle l’aima d’un amour enthousiaste que rien n’altéra jamais; mais ce fut entre eux surtout un échange de bons services et de gloire. Si par son intervention habile elle assurait à son mari la constante faveur du prince et rendait sa fortune inébranlable, elle recevait de lui en retour