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une chambre d’un diamètre légèrement plus grand que celui de la bouche par laquelle doit sortir le projectile. Celui-ci passerait librement par cet orifice, s’il n’avait été revêtu d’une chemise de plomb qui crée une certaine résistance ; mais d’un côté cette résistance est vaincue au moment de la décharge par l’énergique impulsion des gaz, et de l’autre côté la ductilité du plomb cède devant la dureté supérieure du métal dont se compose la bouche à feu. La chemise se déchire sur les rayures de fer de la pièce en contraignant le projectile à suivre leur direction, et en laissant subsister autour de lui un certain nombre de petites barbes de plomb qui servent à le diriger dans sa course, comme les barbes de plume dirigent le vol de la flèche. Cette combinaison n’a pas été inventée par sir William Armstrong, elle lui a été imposée par son point de départ. Il paraît qu’il l’a singulièrement perfectionnée dans la pratique, surtout en ce qui regarde le traitement et la soudure des deux métaux[1].

Ces deux points une fois réglés, il restait encore à résoudre la partie la plus difficile du problème, c’est-à-dire la construction d’un appareil qui, après avoir permis d’introduire le projectile dans la chambre, permît ensuite de fermer la culasse assez hermétiquement pour que les gaz produits par la conflagration de la poudre ne détruisissent pas la pièce au bout d’un nombre de coups très restreint. C’était l’écueil où étaient venus échouer jusqu’ici tous les inventeurs de canons à chargement par la culasse. Quand on se rappelle que les accidens arrivés aux lumières par suite de l’action corrosive des gaz étaient une des causes les plus fréquentes de détérioration dans les anciennes pièces, on doit comprendre facilement combien cette cause a plus de marge pour s’exercer dans une bouche à feu dont l’arrière doit être à la fois et tout ouvert pour l’intro-

  1. Il faut ajouter cependant que, même en Angleterre, ce procédé de fabrication des projectiles a été l’objet de très nombreuses et très vives critiques. On reproche à l’alliance du fer et du plomb de manquer de solidité et de produire des projectiles d’un transport difficile. On dit encore que, malgré les soins dont peut être entourée la fabrication des projectiles, il arrive souvent qu’au moment de la décharge la chemise de plomb se déchire inégalement, d’où irrégularité et défaut de justesse dans le tir. De plus, on affirme que dans le travail du déchirement la chemise de plomb, soumise à une friction très considérable et à une température très élevée, se fond presque et laisse dans les rayures de la pièce des bavures qui contrarient la suite du tir. Enfin, et ceci serait plus grave encore, on assure que le tir de ces projectiles n’est pas sans danger pour les troupes qui appuient les pièces sur le champ de bataille. Le déchirement de la chemise produit une pluie de petits morceaux de plomb qui, en Chine par exemple, ont blessé des soldats. Le fait n’a jamais été nié d’une manière catégorique, et il y a peu de jours encore un journal, revenant à la charge, affirmait que des soldats du 44e régiment de ligne avaient reçu des blessures produites par cette cause. Il ajoutait que si l’on consultait le registre des entrées aux hôpitaux tenu par les chirurgiens de ce régiment, on y trouverait spécifiés plusieurs cas qui prouveraient l’exactitude de son affirmation. Nous n’avons pas vu que cette allégation si nette et si précise ait été contredite.