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de la consultation arriva aux oreilles des chrétiens et bientôt à celles de l’empereur. Théodore eut beau protester de son innocence, il fut condamné à mort comme coupable du crime de lèse-majesté. On fit main basse aussi sur les auteurs du maléfice ; on saisit les livres de magie pour les jeter au feu, on poursuivit tous ceux qui usaient d’enchantemens ou de recettes surnaturelles contre les maladies; on alla plus loin, et comme les chrétiens n’étaient guère moins crédules que les païens en fait d’opérations magiques, Valens, persuadé que le démon avait véritablement parlé et désigné son successeur, fit rechercher tous les hommes de quelque importance dont le nom commençait par les fatales lettres. Malheur à qui dans l’empire d’Orient s’appelait Théodat, Théodule ou Théodoret : il était soumis à l’inquisition la plus redoutable; sa tranquillité, sa fortune, ses jours, étaient en danger. Cette persécution remplit de ses calamités toute l’année 374, et se prolongea même durant les années suivantes.

Théodose, Occidental, au service de Valentinien II et de Gratien dans les armées rhénanes ou danubiennes, échappait à la juridiction de l’empereur d’Orient; cependant la haute position de son père, généralissime en Afrique, et sa gloire naissante lui ayant suscité beaucoup d’envieux, il put craindre qu’on abusât de son nom pour le perdre. Aussi, lorsqu’en 376 le père, victime des haines de cour, eut été décapité à Carthage, le fils reçut l’avis prudent de se retirer en Espagne, où il alla vivre dans un exil volontaire. C’est pendant ce temps que se passa le fait dont j’ai à parler maintenant. Rentré dans sa patrie près de son frère, Théodose avait repris, avec son affection paternelle pour Sérène, l’habitude de ses anciens jeux. Un jour qu’il la soulevait dans ses bras et voulait l’emporter comme à l’ordinaire, l’enfant, déjà grande et d’humeur rétive, cette fois refusa de partir. Tout en se débattant contre l’étreinte de son oncle, elle s’écria avec une sorte d’exaltation : « Celui-là doit donc toujours commander! » Et l’enfant se servit de l’expression imperare, consacrée pour désigner le gouvernement des césars. Ces mots et le ton dont ils étaient prononcés durent produire sur les assistans l’effet de la foudre, car on se les rappelait encore au bout de vingt ans. On apaisa l’enfant, on se tut, on attendit, et lorsque Théodose, rappelé par Gratien après la mort de Valens, reçut du jeune empereur, en 379, la couronne de l’empire d’Orient, on crut voir l’accomplissement d’une prophétie domestique. Sérène put passer dès lors dans l’intérieur de la famille pour une enfant extraordinaire, une fille fatidique, en confidence de secrets avec le ciel.

Quand son père mourut. Théodose la fit venir à Constantinople, où son éducation s’acheva sous les professeurs les plus fameux. Les