Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il est fort probable qu’il aurait baissé de ton. Après cette affaire, où les canonniers des deux nations, agissant côte à côte, purent apprécier mutuellement la valeur de leurs armes, les militaires anglais n’ont pas caché ce qu’ils pensaient du mérite relatif des deux artilleries. Les lettres particulières de nos officiers nous l’ont conté, et ce qui confirme à nos yeux le dire de ces lettres, c’est que nous ne connaissons pas encore un seul témoignage rendu par aucun de ceux qui ont fait cette campagne en faveur du canon Armstrong. Tous les éloges qui en ont été faits sont dus à des personnages de l’ordre civil dont la compétence peut être contestée. Quant aux militaires, ils se sont tus. Le major Hay, qui avait été envoyé en Chine avec la mission spéciale d’informer son gouvernement des résultats que la nouvelle artillerie fournirait devant l’ennemi, a fait un rapport ; mais le gouvernement anglais n’a jamais permis que ce rapport fût publié, quoique bien souvent on lui en ait demandé l’impression. En Angleterre, en présence du parlement, c’est un symptôme qui ne laisse pas d’avoir une grande signification.

Laissons là toutefois l’expédition de Chine et l’artillerie de campagne pour parler des canons qui peuvent être employés sur les bâtimens de mer, et qui doivent ici nous intéresser particulièrement. C’est une question délicate, car elle n’a encore reçu, que nous sachions, aucune solution définitive, ni chez nous, ni chez nos voisins ; mais on va voir la différence des bases sur lesquelles on a travaillé, et des résultats auxquels on est déjà parvenu dans les deux pays.

L’arme française, qu’elle soit canon de campagne, de siège, de côte, de rempart ou de vaisseau, est une arme nouvelle, construite sur des principes de balistique tout nouveaux. C’est une arme rayée ; mais, que l’on note bien ceci, ce n’est pas une arme à projectile forcé. C’est là le caractère principal qui la distingue du canon Armstrong et de toutes les armes rayées qu’on avait fabriquées jusqu’ici : carabines, fusils, pistolets, qu’ils fussent à culasse mobile ou à canon d’une seule pièce, ils se chargeaient avec une balle de plomb que l’on forçait par suite de sa ductilité à se mouler elle-même dans les rayures du fer du canon, soit qu’elle fût introduite par la culasse dans une chambre d’un calibre plus grand que celui du fusil, soit qu’on l’introduisît par la bouche en l’écrasant au fond de l’arme avec un maillet ou avec une baguette puissante qui la contraignait à entrer dans les rayures. Dans le canon français, rien de pareil. Les divers systèmes, car il y en a encore plusieurs qui sont en présence pour ce qui tient à l’armement des vaisseaux, ont tous ce point commun, que les projectiles s’y meuvent dans l’âme des pièces avec autant de facilité que dans l’intérieur des anciennes