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« Le théâtre de l’Opéra-Comique a fait banqueroute. Le dernier ouvrage qu’on a donné à l’Opéra, c’est l’Armide de Gluck, réduite en trois actes. L’institution musicale de Choron est fermée, la chapelle royale s’est éteinte ; on ne peut pas entendre une messe en musique dans aucune église. La Malibran quitte Paris la semaine prochaine. » Il écrit à un ami qui habite Düsseldorf, Charles Immermann : « On donne depuis quelque temps à l’Académie royale de Musique Robert-le-Diable de Meyerbeer, dont la musique a beaucoup plu. C’est un grand spectacle où sont employés tous les artifices de la mise en scène. Le sujet est romantique, mais ce n’est après tout qu’une très mauvaise pièce, où il n’y a que deux belles scènes de fantasmagorie ; l’ensemble ne produit aucun effet. Je ne puis comprendre qu’on fasse de la musique sur un pareil sujet ; aussi celle de Meyerbeer ne me satisfait pas. Je la trouve froide, dépourvue d’action et de sentiment ! (kalt und herzlos !) » Bravo, voilà qui est jugé en bon Allemand, en digne ami de Robert Schumann, qui en a dit autant du chef-d’œuvre de Meyerbeer ! Pauvre Mendelssohn ! il a bien fait de ne pas se fixer à Paris et d’aller écrire dans le pays des Bach les amusantes jérémiades de Paulus et d’Élie.

Quant au Guillaume Tell de Rossini, Mendelssohn l’abandonne au mauvais goût des Français, et il lui préfère presque, savez-vous quoi ? le Faust de Spohr, qui sera joué sur le grand théâtre de Londres, et que « les Parisiens considèrent, dit-il, comme un chef-d’œuvre classique. » Je vous le dis en vérité, quand un Allemand ne s’appelle pas Goethe, Herder, Mozart, Humboldt, Heine, il ne faut pas lui permettre d’avoir un avis sur les actes et la sociabilité des peuples de l’Occident, où l’on sait rire et pleurer à bon escient. Voyez Lessing jugeant les tragédies de Racine, voyez Beethoven appréciant à la simple lecture le Barbier de Séville de Rossini ! Homère, Dante, Michel-Ange ne seraient pas plus étonnés en lisant le Mariage de Figaro que ne l’a été l’auteur de la Symphonie pastorale en parcourant du regard un chef-d’œuvre de charme et de gaîté humaine. De là je conclus que plus le génie est sublime et puissant, moins il lui est facile de sortir de l’idéal qu’il s’est créé et de comprendre ce qui n’est pas lui. Mendelssohn, qui n’avait pas cette excuse pour être exclusif et sourd, expiera l’étroitesse de son esprit et de son organisation monotone en échouant au théâtre et dans la musique dramatique, où il s’est vainement essayé toute sa vie.

« Je ne saurais trop me louer des artistes de ce pays, écrit Mendelssohn à un membre de sa famille. Avant-hier on a exécuté à la Société des Concerts l’ouverture du Songe d’une Nuit d’été, ce qui m’a fait un plaisir infini. Dans l’un des prochains concerts, on la redira, et l’on exécutera en même temps ma symphonie. Je dois jouer aussi pour mon compte le concerto en sol majeur de Beethoven. Je ne crois pas qu’il soit possible d’entendre une exécution aussi parfaite que celle de la Société des Concerts… Je vois avec bonheur que mon nom ici est partout bien accueilli. Le monde sait enfin que j’existe et que je puis quelque chose. Les éditeurs me font des visites et me demandent à acheter de mes œuvres. J’ai tant fait de musique depuis quelque temps que je ne sais plus où j’en suis. Je sors d’une répétition du Conservatoire où tout a été à merveille. Si le public de demain partage l’enthousiasme que les musiciens m’ont témoigné aujourd’hui,