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mais ce commencement est d’un effet saisissant » Dans une lettre adressée à son maître, le vieux Zelter, Mendelssohn revient sur les cérémonies de la semaine sainte, et il entre dans plus de détails sur la musique et le chant de la chapelle Sixtine. « Les psaumes sont chantés par deux chœurs de voix d’hommes qui alternent et se répondent comme deux coryphées. Les paroles de chaque verset sont déclamées rapidement, excepté la dernière syllabe, sur laquelle la voix s’arrête pour conclure, et cette sorte de déclamation syllabique à l’unisson se termine par un doux accord parfait qui surprend agréablement l’oreille. Après le psaume 70, où tout le monde se lève pour réciter tout bas un Pater noster, on commence à chanter, d’une voix murmurante et contenue, les Lamentations de Jérémie, musique de Palestrina. Lorsque cette composition est rendue par des voix de soprano et de ténor, et qu’elle se développe lentement d’un accord à l’autre, l’effet en est vraiment divin (ganz himmlisch !) »

À la bonne heure ! Tu sens donc la grâce ineffable de la religion du Christ et de l’art qu’elle a inspiré, ô fils de Jacob et de Sébastien Bach, disciple du Talmud et de la synagogue ! Tu es assez heureusement doué pour comprendre la sublimité de celui qui a dit : « Laissez venir à moi les petits enfans, » paroles saintes et fécondes qui ont restauré le cœur humain et divinisé l’amour dans la vie comme dans l’art. » La première fois, ajoute Mendelssohn quelques lignes plus bas, que j’entendis les leçons sur les psaumes d’après le traité de saint Augustin, je fus frappé de la singularité de l’effet. Une voix seule expose d’abord le sujet dans une espèce de récitatif d’une allure lente et solennelle, en faisant ressortir nettement chaque mot et en s’arrêtant selon la ponctuation de la phrase. Viennent ensuite les psaumes, et puis les antiennes. C’est alors qu’on commence à éteindre successivement les lumières de l’autel et que l’obscurité envahit le sanctuaire. Le chœur tout entier entonne alors avec beaucoup de force et à l’unisson le canticum Zachariœ, et pendant la durée de ce cantique on achève d’éteindre les autres lumières. Le fortissimo du chœur qui éclate dans l’obscurité profonde où l’on se trouve tout à coup produit un effet magique. Le chant de ce chœur, écrit dans le ton de ré mineur, est charmant. Tout cela (ajoute Mendelssohn après avoir signalé d’autres détails de la cérémonie et de l’exécution) est du plus grand intérêt. Le Miserere que j’ai entendu le premier jour est celui de l’abbé Baini, composition sans caractère et sans force comme toute la musique du savant abbé. Le second jour, j’ai entendu celui d’Allegri, dont le commencement me fait toujours plaisir. En général cependant toute cette musique est un peu monotone. C’est par les nuances infinies de l’exécution, par les embellimenti que les chanteurs y ajoutent presque à chaque accord, qu’elle acquiert un mérite réel. Ces embellissemens, paraît-il, sont tous de tradition, et les chanteurs en font un mystère. Je ne pense pas cependant que ces nuances et ces modifications que les chanteurs de la chapelle Sixtine ajoutent aux morceaux qu’ils interprètent soient d’une date bien ancienne. »

Je ne suivrai pas Mendelssohn dans l’analyse minutieuse de quelques passages et de quelques formes étranges du plain-chant grégorien, dont il ne semble pas bien comprendre l’esprit et la vague tonalité. On sent que, dans