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un simple rayon de soleil fixé sur la toile par une main inspirée, la grâce naïve d’une fille de l’Ombrie, une mélodie divine entourée de quelques accords boiteux ? D’abord le jeune Mendelssohn est fort étonné qu’on connaisse à Rome l’œuvre très sérieuse d’un musicien allemand du XVIIIe siècle, la Mort de Jésus, de Graun, et qu’il se trouve dans la ville de Palestrina un vieil abbé Santini, savant archéologue, qui désire ardemment connaître la partition de la Passion de Sébastien Bach, une œuvre considérable d’un musicien protestant. Mendelssohn avoue même que les chanteurs italiens n’ont pas trop mal interprété la musique de Graun, qui dans son temps n’a été qu’un lourd imitateur des maîtres ultramontains. Enfin Mendelssohn s’oriente dans cette grande nécropole de l’histoire. Il voit les hommes, les monumens, les merveilles de toute nature qui s’y trouvent accumulés, et il en parle avec un enthousiasme sincère et éclairé. Il se loue beaucoup de l’abbé Santini, qui lui communique avec libéralité les raretés historiques de sa bibliothèque, et il prie sa famille de lui envoyer d’Allemagne un recueil de six cantates de Sébastien Bach pour en faire hommage au savant abbé.

« Hier (écrit-il malicieusement à sa sœur Fanny), je suis allé chez M. de Bunsen, où j’ai entendu un musicien allemand. Hélas ! hélas ! j’aurais voulu être Français. Après dîner, nous avons vu arriver Catel, Egger, Senf, Wolf et autres peintres. On m’a prié de faire de la musique et de jouer du Bach, ce que j’ai fait, à la grande satisfaction des auditeurs. Je leur ai parlé aussi de la possibilité d’exécuter à Rome la Passion du grand Sébastien ; mais les chanteurs de la chapelle du pape ont déclaré, après avoir examiné la partition, qu’elle était inchantable. Je pense tout le contraire. » Dans cette même lettre, Mendelssohn parle de l’abbé Baini, le savant historien de Palestrina. « Je lui ai été présenté, dit-il, par M. de Bunsen. Je suis heureux d’avoir fait la connaissance de cet homme distingué, dont le savoir me sera très utile pour éclaircir beaucoup d’énigmes. » Il ajoute quelques lignes plus bas : « Je t’envoie, ma chère Fanny, pour le jour de ta naissance, une composition que je viens d’achever. C’est un psaume pour chœur et orchestre, — Non nobis, Domine. — Tu en connais déjà la partie vocale. Il s’y trouve un air dont la conclusion te plaira, j’espère. Maintenant je vais achever une ouverture qui est sur le métier depuis longtemps, et puis, si Dieu me prête vie, j’aborderai une symphonie. Je projette aussi le plan d’un concerto de piano que je réserve pour le public de Paris. »

Mendelssohn se plaint beaucoup de l’inaptitude des musiciens d’orchestre. « Les orchestres de ce pays-ci, écrit-il à sa sœur, sont au-dessous de tout ce que l’on peut imaginer. Les concerts que donne la Société philharmonique ne sont accompagnés qu’au piano, et lorsque tout récemment on a voulu, aborder la Création d’Haydn, il a fallu y renoncer, parce que les musiciens de l’orchestre ont déclaré ce chef-d’œuvre inexécutable. » Dans une autre lettre pleine de vivacité et de douce ironie, où Mendelssohn fait le récit d’une promenade au Monte-Pincio, il dit : « Je suis entré vers le soir dans l’église la Trinità-dei-Monti, où j’ai entendu chanter deux nonnes françaises d’une manière admirable,… car je deviens tolérant ici, et j’écoute les choses les plus incroyables avec une suprême indifférence. Cependant la voix de chacune de ces deux femmes n’était pas mauvaise, et j’ai même conçu le projet d’écrire expressément pour elles un morceau de