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rantie de l’indépendance de leur foi ; il avait compris qu’il ne fallait pas brutaliser ces consciences honnêtes, quoique égarées, qu’il était injuste, au moment où on leur apprenait que ce n’est pas le soleil qui tourne autour de la terre, de ne point leur démontrer que c’est la terre qui tourne autour du soleil ; qu’en un mot il fallait faire entrer dans leur esprit que la garantie de la liberté religieuse réside dans la liberté civile et politique, et non dans un misérable petit despotisme théocratique. Frate, frate, libera chiesa in libero stato, ce furent presque les derniers mots de ce grand libéral, ceux qu’il adressait à cet honnête père Jacques qui lui administrait les derniers sacremens. Nous nous expliquons loyalement les hésitations, les répugnances qu’éprouve l’empereur, à porter le dernier coup à la papauté temporelle par une décision qui n’aurait l’air d’être qu’un acte de sa volonté. Il se peut qu’il n’y ait en Europe que deux hommes (Cavour étant mort), et il se peut que l’empereur soit un de ces hommes ; mais, à quelque hauteur qu’un homme puisse être placé au-dessus de ses semblables, nous concevons le trouble honnête de sa conscience lorsqu’on lui demande d’imprimer, par sa seule initiative personnelle, un ébranlement définitif à la conscience de tant de millions d’hommes. Quant à nous, nous trouverions que la responsabilité d’une telle décision serait bien lourde pour un seul homme ; ce fardeau ne peut être porté que par la conscience collective d’une nation s’éclairant par la discussion la plus libre et prononçant son arrêt par l’organe de ses libres représentans. Ah ! si lorsque l’adresse des évêques a été publiée, il y eût eu dans le plus grand des pays catholiques une chambre populaire investie du droit d’interpellation et d’initiative parlementaire, le gouvernement eût été facilement affranchi des responsabilités de la question romaine. Pas un homme dans une telle assemblée ayant au cerveau quelque flamme de 1789, dans les veines quelques gouttes de sang révolutionnaire, n’eût laissé passer sans protestation le manifeste de ces idées théocratiques dont la révolution a voulu nous affranchir ; mais alors aussi nous aurions eu l’état libre, et nous aurions pu offrir, avec un sincère esprit de conciliation et de justice aux catholiques la libera chiesa in libero stato, c’est-à-dire l’indépendance et la paix des consciences dans la pleine possession de leurs droits. Quand on est convaincu, comme nous le sommes, que la France trouverait dans la liberté la seule solution honorable et efficace de la question romaine, on n’a guère le cœur d’accuser les Italiens des soucis qu’ils nous donnent et d’exhaler sa mauvaise humeur en conseils ou en objurgations stériles à l’adresse du cabinet de Turin ou des partisans de Garibaldi.

La situation aux États-Unis n’a point changé depuis les grands combats du mois dernier ; mais les partisans du sud en Europe, ceux qui voulaient que la France et l’Angleterre offrissent leur médiation aux parties belligérantes, ceux qui au fond voudraient amener les puissances occidentales à consacrer le déchirement de l’Union en reconnaissant la confédération séparatiste, ne semblent point découragés par la stérilité de leurs efforts. On s’explique