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de gouvernement, c’est une passion nationale qui s’est incarnée dans un homme à la fois exalté et naïf, dans Garibaldi. Pourquoi la France demeure-t-elle en péril de se commettre avec ce fou, si Garibaldi n’est qu’un démagogue vulgaire, ou de se heurter à un vivant symbole du patriotisme italien, si Garibaldi est le véritable héros d’une passion nationale ?

Quelle occasion attendrons-nous pour quitter Rome ? Nous le reconnaissons, il est impossible à la France de céder à une sommation de Garibaldi, et c’est là le mal dont nous nous plaignons, qu’une provocation insolente ait ce pouvoir de nous attacher à une situation fausse ; mais espère-t-on qu’une occasion purement diplomatique vienne s’offrir de nous dégager de cette occupation ? Une telle espérance nous paraîtrait mal fondée. L’occasion diplomatique s’était présentée en 1860, mais en des circonstances qu’il n’est plus au pouvoir de personne de ramener. Alors le pape pouvait espérer qu’il organiserait une force militaire suffisante pour sa protection. Depuis ce temps, il a perdu les deux tiers de ses possessions, il n’est plus capable de se défendre lui-même ; nous ne pouvons compter qu’il nous dégage, comme il l’avait fait en 1860, de la charge que nous remplissons à Rome. Cette année même, une occasion plus grande s’était offerte : nous voulons parler de la manifestation des évêques accourus à Rome à propos de la canonisation des martyrs japonais. Les évêques, dans leur adresse au pape, avaient élevé le débat dans la sphère des principes : ils avaient, avec une singulière franchise, revendiqué le pouvoir temporel au nom d’idées que répudie la civilisation actuelle, au nom d’un droit qui est la négation radicale du droit moderne. C’était le bon moment pour décliner toute solidarité avec de telles doctrines ; mais l’on a laissé passer cette occasion, et l’on ne sait si nous n’avons pas été encore une fois dérangés dans quelque conception diplomatique par l’incartade de Garibaldi.

Par justice autant que par courage, nous devons dire où est la difficulté. Nous ne sommes pas retenus à Rome par un principe ; nous avons reconnu le royaume d’Italie, et, comme toutes les puissances qui ont ainsi donné leur sanction au régime nouveau, nous l’avons reconnu après la déclaration solennelle du parlement italien qui a proclamé Rome capitale de l’Italie. Nous ne sommes donc à Rome que par la continuation d’une position prise, par un sentiment de sympathie pour la personne du saint-père, en un mot par un simple accident de notre volonté. Nous ne pouvons quitter Rome que de deux façons, ou par un simple changement de volonté, ou après l’affirmation éclatante des principes modernes qui condamnent la confusion théocratique des deux pouvoirs. De ces deux manières d’en finir avec nos compromissions romaines, quelle est la plus sûre et la plus digne ? Évidemment c’est la seconde, c’est celle que M. de Cavour avait adoptée. Ce sagace et libéral esprit avait compris qu’il fallait, en retirant le pouvoir temporel au pape, compter avec les consciences catholiques si nombreuses, accoutumées à voir dans la souveraineté temporelle la ga-