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de la haine, comme l’union est la fille de la discorde. Patriotisme, esprit de caste, esprit de famille, toutes les alliances qui ont rapproché les hommes ont été en même temps des pactes d’agression ou d’opposition.

Enfin comment concilier l’origine du mal avec un Dieu bon ? — Regardons en face cet épouvantail, réplique toujours M. Smith, et il se réduit à rien. « Un chien ou un idiot nous blesse, il n’y a là qu’un accident, un mal naturel. Si l’action malfaisante devient chez l’homme un mal moral, c’est parce qu’elle est le propos délibéré d’une créature qui se préoccupe ou qui peut se préoccuper des intérêts de la société et des jugemens présumés de Dieu. Ajoutez à la passion de l’animal une raison capable d’appréciations morales, vous avez l’origine du crime et du vice. On voit par la l’impossibilité de les attribuer à un agent diabolique. De quelle manière sont-ils entrés dans le monde ? Ils y sont entrés par le développement de l’intelligence humaine, par l’apparition chez l’homme d’un principe plus élevé. » S’en épouvanter comme d’un désordre qui fait tache à l’œuvre divine, c’est s’indigner que Dieu ait couronné son œuvre par la plus sublime de ses créations, c’est lui reprocher d’avoir fait de nous des êtres moraux capables de connaissance, de volonté et de grandeur. » Ainsi, conclut M. Smith, la création entière, nature et humanité, se présente à nous comme une grande pensée harmonieuse et toujours ascendante. Dans les étages inférieurs de l’univers, tout gravite vers l’homme, vers l’intelligence progressive de l’homme. Toute cette nature qui ne pense pas a pour but ou pour couronnement l’être pensant, chez qui elle éveille la connaissance et le plaisir, chez qui elle devient vérité et beauté, et cet être lui-même est le début d’une évolution où l’erreur mène au vrai, le vice à la vertu, l’emportement effréné à l’empire sur soi-même. À partir de ses passions et de ses appétits les plus élémentaires, qui tous ont un rôle marqué et en apparence indispensable pour élaborer les progrès futurs, nous voyons l’homme s’élever régulièrement à des émotions plus nobles, à des vérités de plus en plus hautes. Du point culminant où il parvient à la fin, ce n’est peut-être pas sans quelque chagrin et quelque mépris qu’il reporte ses regards sur les élémens inférieurs de sa nature. Cela n’est pas sage, s’il ne reconnaît en même temps les énormes obligations qu’il a envers eux, s’il ne sent qu’ils sont la base même de l’édifice intellectuel qu’il a construit. Les élémens supérieurs peuvent prédominer, ils peuvent même, une fois développés, se faire à eux-mêmes un point d’appui indépendant. Pour autant, ils n’auraient jamais pu se développer sans l’assistance des élémens inférieurs. Le tout est un. »

Ici la philosophie touche de bien près à la théologie, et en vérité la religion tient tant de place dans le livre de M. Smith que l’on se