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donne tant de prix aux œuvres des siècles passés. Aujourd’hui un orfèvre n’est souvent qu’un entrepreneur qui ignore et la profession à la tête de laquelle il se trouve, et les procédés divers d’où relèvent dans cette profession autant de branches différentes.

À Sèvres, la préoccupation scientifique fait oublier les vrais principes de l’art décoratif. Nous comprenons parfaitement que les chimistes ne puissent être décorateurs et coloristes : leurs études les entraînent dans une direction tout autre ; mais, ce qui n’est pas permis, c’est de croire et de professer que les couleurs de Sèvres sont supérieures aux couleurs chinoises, et que la science est beaucoup plus avancée chez nous que dans le Céleste-Empire. Que m’importe en effet votre science supérieure, si elle donne des résultats inférieurs à tous les points de vue, tandis que l’ignorance produit des merveilles ? En face d’une incontestable puissance, d’une grandeur traditionnelle de vingt siècles, il faut se prosterner et étudier, au lieu de se croire des maîtres.

Un conseil de perfectionnement, composé de peintres, de décorateurs, de sculpteurs et d’architectes, fut institué à Sèvres il y a environ dix ans. Qu’ont-ils fait ? Rien de saillant, et la plupart se sont dégoûtés des obstacles qu’ils rencontraient. Ce conseil a été remplacé par un autre dit de conférence, qui n’admet que les chefs des diverses parties de la manufacture. Ce qui depuis cinquante ans a été créé à Sèvres de plus important, c’est le musée, qui se compose principalement de vases chinois, japonais et persans ; mais à quoi bon entasser là ces produits magnifiques de l’Asie, si on ne les prend pas pour modèles ? A quoi servent ces inventions nouvelles de façonnage et d’encastage, si l’on ne sait rien de l’harmonie des formes et des couleurs ?

Il est maintenant question d’abandonner l’établissement actuel construit par Louis XV au pied du coteau qui domine Sèvres. Les bâtimens, affaissés et vieillis, ont besoin de réparations ; les ateliers, incomplets, ne répondent plus aux nécessités nouvelles. Est-ce donc une raison suffisante, pour quitter un si bel emplacement avec ces allées, magnifiques et ce pittoresque entourage de vergers, et de jardins ? N’y a-t-il pas en ce lieu tout ce qu’il faut pour augmenter les constructions sans détruire cette façade, qui ne manque pas de grandeur ? Les souvenirs du berceau ont sur l’esprit une influence aujourd’hui trop méconnue. La tradition, l’histoire, sont empreintes sur les murs et disparaissent, souvent avec eux. Quoi qu’il en soit, cette restauration, toute matérielle, devrait en amener d’autres plus importantes. Dans le musée de Sèvres agrandi, nous voudrions un enseignement spécial pour l’esthétique de l’art céramique : , puis un atelier pour l’étude des faïences, cette branche si importante de la décoration intérieure et extérieure des monumens. Ces émaux inaltérables,