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habilement peint, mais en désaccord complet avec le bord rouge, vert ou bleu, qui encadre ce tableau, et l’œil n’est pas moins choqué que le goût par ces contre-sens. Aussi le public qui regarde et admire s’écrie-t-il tout d’abord que ce joli plat devrait être encadré, critique d’autant plus sévère qu’elle est offerte comme un éloge. Et pourtant voilà des assiettes-tableaux qui reviennent à 500 francs la pièce, tant il faut de soins et de patience pour obtenir ce résultat si déplorable au point de vue de l’art céramique ! Nous en dirons autant de ces lampes sur le pourtour desquelles se déroulent la bataille des Pyramides et les adieux de Fontainebleau. Il n’en est pas ainsi avec les modèles qui sont ce qu’ils prétendent être, qui visent à l’effet juste de la forme et de la couleur, répondant à leur but réel, le décor. Lorsqu’on songe au temps et à l’argent employés à commettre de pareilles erreurs, aux chefs-d’œuvre que pourraient produire d’aussi habiles ouvriers, s’ils étaient soumis à une direction rationnelle, on reste désolé d’une telle impuissance à y porter remède. Comment s’étonner ensuite si le goût public est perverti, lorsque les guides eux-mêmes sont égarés ?

Sous Louis XV et au commencement du règne de Louis XVI, lorsqu’on se permettait de faire, soit un portrait sur un vase ou une assiette, soit des amours et parfois des paysages, c’était avec une légèreté de touche, une fraîcheur de nuances qui laissaient la chair, les draperies ou les fleurs sans ombres, sans trait noir, sans dureté, mais seulement tracées et modelées, ou, pour mieux dire, modulées par des nuances du même ton. Souvent le paysage était peint tout en rose, en bleu ou en violet, avec les dégradations de ces couleurs, et cela suffisait à l’ornementation. La manufacture de Saxe excellait dans ce genre, et les résultats obtenus par ce système sont restés des modèles d’art et de goût qui se paient maintenant au poids de l’ot. On se gardait bien alors de ces entassemens de dessins et de couleurs que, par un singulier euphémisme, vous appelez composition, de ces ombres noires que vous prenez pour du relief et qui percent le vase au lieu de l’arrondir. D’ailleurs l’ombre dans une fleur ou dans tout autre objet n’est visible que pour l’œil habitué à la chercher. Demandez au premier venu où est la demi-teinte, où est l’ombre dans une rose, il ne la verra pas. Tous ceux qui ont dessiné d’après la bosse savent ce qu’il faut d’étude pour trouver l’ombre à côté de la lumière. Cette habitude de chercher l’ombre nous fait l’exagérer ; nous la faisons noire et opaque, au lieu de la faire bleue et transparente.

Lorsqu’on exécute à Sèvres des fonds roses, bleus, verts ou au- : très, la grande préoccupation consiste à étendre la couleur le plus également possible. Sortie du four, cette surface est d’un ton si uniforme