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et sans grandeur, sans originalité surtout ? Si donc une chance reste pour relever l’art industriel, c’est dans les manufactures de l’état qu’on peut la trouver. Là en effet la tradition peut, en se perpétuant, arriver au résultat le plus parfait. Argent, emplacement, matériaux, ouvriers de choix, rien ne manque : que faudrait-il de plus ? Une intelligente direction.

La chimie joue à coup sûr un rôle important dans la fabrication des émaux et de la porcelaine ; mais ce rôle est ou devrait être entièrement subordonné à tout ce qui concerne l’art dans la céramique, c’est-à-dire la beauté de la forme et de la couleur. En est-il ainsi à Sèvres ? Non certes ; il est évident que, depuis le commencement du siècle, la question de science a primé de la façon la plus fâcheuse la question d’art. Or c’est cette dernière qui nous préoccupe exclusivement ici. Les artistes et les ouvriers de Sèvres remplissent sans doute leur tâche avec zèle, avec habileté, avec plus de talent même qu’il n’est besoin, car on pourrait les accuser de trop savoir plutôt que de trop ignorer, et cependant, c’est à regret que nous le disons, il n’est pas un homme de goût qui fût fort ambitieux de posséder un de ces grands vases de Sèvres qu’on regarde à la manufacture comme la plus haute expression de l’art céramique ; au contraire un simple bol de la Perse ou de la Chine fera toujours plaisir à quiconque est doué du sentiment du beau. D’où vient la cause d’une différence si grande ? Pourquoi sommes-nous arrivés, particulièrement en ce qui regarde la céramique, au goût le plus dépravé, le plus déraisonnable, aux décorations les plus hétérogènes ? Nous voudrions l’expliquer, certain de trouver d’utiles exemples à l’appui de notre opinion dans les souvenirs d’un long séjour en Orient, parmi les peuples qui ont porté le plus haut le sentiment des vraies conditions de l’art décoratif. Ce ne sont donc pas des vues simplement personnelles, ce sont les traditions mêmes de la céramique, étudiée à son berceau et dans ses centres de production les plus importans, que nous opposerons aux tendances modernes.


I

Il est certain que les anciens, c’est-à-dire les Égyptiens, les Assyriens, les Chinois, les Phéniciens, les Perses et les Byzantins, connaissaient la plupart des poteries, faïences, porcelaines, émaux et verreries. Ils en portèrent la fabrication à un degré d’habileté que nous sommes bien loin d’avoir atteint. Les antiquaires et les archéologues, qui ne connaissent guère d’autre civilisation que celle de la Grèce et de Rome, n’ayant trouvé là qu’un art céramique fort peu développé, puisqu’il se contentait de ces poteries à fond noir ou