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types renferme la légion étrangère. Un officier fit un soir le pari d’y trouver toutes les conditions de la vie sociale. Le fait est que, dans cette réunion d’hommes, tous les métiers sont représentés aussi bien que toutes les passions. Celui qu’on avait surnommé le curé Mérino s’appelait tout simplement Gil Lopez. C’était un ancien étudiant en théologie qui avait servi sous Zumalacarregui dans ce bataillon intrépide appelé les guides de Navarre. Le pauvre garçon appartenait à cette race de philosophes en guenilles qui jettent parfois l’esprit des penseurs dans des étonnemens singuliers. Quoique Espagnol et catholique, il sortait du tonneau de Diogène; seulement il avait été conduit à changer ce tonneau contre une tente. Né avec une nature réfléchie de lazzarone, il ne pouvait pas, disait-il, pardonner à la révolution espagnole d’avoir supprimé ces grands portiques des couvens où venaient s’asseoir, pour se livrer à des chasses royales dans leurs haillons pittoresques, ces gueux splendides immortalisés par Murillo. Il avait donc pris parti pour don Carlos, et était ainsi devenu soldat de Zumalacarregui. La vie militaire ne lui avait pas déplu : il était brave, le havre-sac et le fusil ne lui semblaient pas des poids trop lourds, et cette manière insouciante de marcher dans des chemins qui aboutissent tous à l’hôtellerie de la mort avait quelque chose qui souriait à son esprit; mais s’il était guerrier par le fond de l’âme, il ne l’était point par les habitudes de sa personne extérieure. Sa tenue négligée, ses cheveux plats et longs, ses paupières, qu’il craignait de soulever, lui donnaient l’aspect d’un séminariste. Aussi ses camarades de la légion l’avaient-ils surnommé tout d’abord le curé, puis, quand ils l’eurent vu en campagne, quand ils eurent pu juger de cette bravoure opiniâtre et rusée qu’il déployait dans les occasions difficiles, ils lui donnèrent le nom d’un partisan célèbre : on l’appela le curé Mérino. Lopez répondit sans humeur à ce sobriquet. Les ordonnances des officiers peuvent conserver leur place au feu, en échappant à mille menus détails du service et en recouvrant une indépendance relative dans le redoublement apparent de leur servitude. Le curé Mérino, qui aurait reculé devant les galons de caporal avec autant d’effroi qu’un solitaire des anciens jours devant la crosse d’évêque, s’était consacré tout entier aux modestes fonctions qu’il exerçait. Serpier, qu’il avait servi le premier, l’avait traité du reste avec une grande douceur, car le gentilhomme vendéen avait l’habitude de dire que les ordonnances étaient les frères lais de l’armée, et participaient aux mêmes grâces que leurs chefs. Il crut ne pas pouvoir donner à Laërte une meilleure preuve de sa récente amitié qu’en lui cédant cet intelligent serviteur. Le comte Zabori ne tarda point à se prendre d’affection pour le curé Mérino.

Laërte devait bientôt trouver à sa maison d’autres charmes que des ressources contemplatives. Il n’était pas le seul habitant de ce