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ciers, qui se rappelaient encore les idées et le martyre de Pestel, enfin des habitans du pays, des Russes et jusqu’à des Tatares. Il serait trop long de l’expliquer ici ; mais, pour quiconque a bien connu la Sibérie, il n’est pas douteux que les élémens d’une révolution n’y manquent pas. Le mécontentement y est général, quoiqu’à divers degrés et pour des causes très divergentes, contradictoires même ; les garnisons seules retiennent ces vastes contrées dans le cercle de fer qui étreint l’empire. Or c’est précisément parmi les garnisons que Siérocinski recrutait le plus d’affiliés. Son plan était de s’emparer à un moment donné des forteresses et places principales à l’aide des conjurés militaires et des déportés délivrés (pour la plupart anciens soldats), et d’attendre les événemens. En cas d’échec, on devait se retirer en armes par les steppes kirghis dans le khanat de Tachken, où il y avait beaucoup de catholiques, ou dans le Boukhara, pour pénétrer de là dans les possessions anglaises des Indes orientales. Le foyer de la conspiration était à Omsk, où les conjurés avaient à leur disposition toute l’artillerie de la place, et le signal était déjà donné pour une levée de boucliers générale ; mais la veille même de l’exécution trois des conjurés révélèrent tout au commandant de place, le colonel Degrawe, le même qui m’avait parlé à mon passage à Omsk. Siérocinski et ses complices furent saisis dans la nuit même, et des courriers partirent dans toutes les directions pour ordonner des arrestations en masse. Le complot ainsi étouffé au moment d’éclater, l’enquête commença et dura longtemps. Deux commissions, nommées l’une après l’autre, finirent par se dissoudre sans rien produire, tant l’affaire était compliquée et obscure ; ce n’est que la troisième, composée de membres envoyés exprès de Saint-Pétersbourg, qui réussit à clore la procédure. Un arrêt de l’empereur Nicolas condamnait l’abbé Siérocinski et cinq de ses principaux complices, parmi lesquels se trouvaient un officier des guerres de l’empire, âgé de soixante et quelques années, Gorski, et un Russe, Mélédine, chacun à sept mille coups de verges sans merci. Le jugement portait en toutes lettres sept mille coups sans merci (bez postchadi). Les autres détenus, dont le nombre s’élevait à mille, furent condamnés soit à trois mille, deux mille ou quinze cents coups de verges et aux travaux forcés à perpétuité, soit simplement aux travaux forcés, aux compagnies disciplinaires, à la réclusion, etc.

Vint le jour de l’exécution. Ce fut en 1837, au mois de mars, à Omsk. Le général Galafeïev, célèbre par sa cruauté et envoyé à cet effet de la capitale, commandait le lugubre cortège. Au point du jour, deux bataillons complets se rangèrent sur une grande place, près de la ville, l’un destiné pour les six principaux coupables,