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au cri que M. Disraeli vient de pousser en faveur de l’économie. Nous comptons bien après tout sûr les protestations des cinq députés qui forment notre opposition. Ces honorables députés ont déposé une série d’amendemens qui tendent à une réduction des dépenses. Ils demandent par exemple une diminution de cent mille hommes sur notre effectif ; ils demandent que la loi interdise le cumul des gros traitemens. Voilà des réformes que l’on n’eût pas eu à réclamer il y a onze ans, et qui, avant onze années, n’en doutons pas, seront le lieu-commun des vœux publics. Eh bien ! un signe caractéristique du temps paradoxal que nous traversons, c’est que dans une chambre française elles sont le thème audacieux d’une opposition qui ne compte pas plus de cinq membres ! Quoi qu’il en soit, M. Disraeli, dont le métier n’est pas de regarder dans notre besace, dénonce à son pays lord Palmerston comme un phénomène de prodigalité, et lui lance ce trait final : « Voilà le ministre si distingué pour ses connaissances en politique étrangères ! C’est pour s’attacher une spécialité si inappréciable que les réformistes renoncent aux réformes, que les économistes abandonnent les économies. Le noble lord, en vérité, est le digne chef du parti libéral, car le seul titre que ce parti ait conservé à cette épithète, autrefois illustre, est la prodigalité avec laquelle il dépense l’argent du public. »

On souhaiterait presque que l’importation des épigrammes anglaises fût aussi licite en France que l’importation des rasoirs de Sheffield, lorsqu’on voit la façon dont un ministre salué par nous comme libéral lors de sa rentrée au pouvoir, M. le comte de Persigny, entend le libéralisme en matière de presse. Les tribunaux, le conseil d’état, ont été saisis de réclamations curieuses, motivées par la rigueur qu’apporte M. de Persigny dans la pratique du régime de la presse. Le rédacteur en chef d’un journal vend. ce journal à des personnes honorables ; le ministre de l’intérieur refusé de reconnaître parmi les acquéreurs un rédacteur en chef nouveau. Si la prétention ministérielle prévaut, le vendeur restera rédacteur en chef malgré lui, et ne pourra pas vendre sa chose, ou bien les acquéreurs seront contraints de payer le prix d’une propriété que le pouvoir ministériel anéantit dans leurs mains. Une autre fois, c’est le cas de la France libérale, le gérant et le rédacteur en chef d’un journal qui se crée sont acceptés par le ministre de l’intérieur ; le gérant meurt subitement ; l’autorisation de publier le journal pour lequel des capitaux avaient été réunis, et qui déjà constituait une association commerciale et une propriété, est retirée au rédacteur en chef, M. Bonnet, par la raison que la concession du journal était indivisible, et qu’elle était frappée de caducité par la mort d’un des concessionnaires. Dans les deux cas, on met le système actuel ! de la presse en contradiction avec les droits de propriété ; si ces deux précédens font jurisprudence, la propriété de tous les journaux existons perd les garanties qui protègent en France le droit de propriété ; et demeure livrée au bon plaisir ministériel. La propriété en matière de presse n’est-elle pas ainsi exposée aux traitemens dont un certain socialisme menaçait, il y a quelques