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nouvelle expérience, ce qui vient de se passer au Mexique, nous le craignons, en serait la démonstration éclatante.

Quel était et quel est l’objet de notre politique au Mexique ? On a eu le tort de ne pas le dire d’avance avec assez de clarté et de fermeté, et le public français éprouve encore à l’heure qu’il est la mortification peu glorieuse de l’ignorer. En justice et en bonne politique, on ne devait rien vouloir au-delà du redressement des griefs et du paiement des indemnités. À la rigueur, on pouvait souhaiter de voir le gouvernement mexicain actuel, qui nous a fatigués par ses violences et sa mauvaise foi, remplacé par un gouvernement plus honorable et plus enclin aux bonnes relations avec l’Europe. Nourrissant ce vœu très légitime, si la présence des forces européennes déterminait dans la population mexicaine un mouvement hostile au président Juarez, nous pouvions assurément nous aider d’un soulèvement national pour travailler à la chute de notre ennemi, et du consentement des Mexicains seconder la création d’un pouvoir plus honnête et plus civilisé. L’objet naturel de notre politique, qui était le redressement de nos griefs, pouvait donc, à certaines conditions et dans une certaine mesure, nous autoriser à participer et à aider au renversement du président Juarez. La convention de Londres avait assez d’élasticité pour se prêter à une telle éventualité, à la condition que les satisfactions réclamées par nous ne nous fussent point accordées, et qu’un soulèvement des populations mexicaines éclatât avec assez d’énergie pour emporter le pouvoir actuel.

Il semble que dans ces limites, et dans l’hypothèse où les événemens se fussent passés de la sorte, l’action commune entre les trois puissances eût pu être maintenue jusqu’au bout. Puisqu’on avait recherché et voulu cette action commune, il semble aussi que l’on eût dû s’appliquer, dans notre politique et dans les préparatifs de notre expédition, à tout faire pour demeurer dans ces conditions et donner aux événemens le tour que l’on souhaitait. Malheureusement l’insuffisance de nos préparatifs militaires a entraîné des contre-temps qui ont été compliqués de maladresses politiques. Quoiqu’on ne l’eût pas déclaré formellement à l’origine, il est évident qu’il répugnait à la France de traiter avec le gouvernement de Juarez. Il eût été dès lors logique et nécessaire d’envoyer tout de suite à la Vera-Cruz des troupes suffisantes, assez bien munies et approvisionnées pour s’établir de vive force au-delà du littoral, dans des conditions sanitaires favorables. On ne l’a point fait. Le corps confié à l’amiral Jurien de La Gravière était trop peu nombreux. Débarqué à la Vera-Cruz, il fut décimé par les maladies ; les moyens de transport lui manquaient, et, par une nécessité impérieuse sur laquelle une regrettable note du Moniteur n’a pas longtemps donné le change à l’opinion, le premier acte de notre entreprise dut être de conclure, pour obtenir des cantonnemens salubres, une convention avec le gouvernement même pour lequel nous éprouvions une répulsion si méprisante. Les embarras du premier établissement des alliés au Mexique n’étaient guère faits pour donner des encouragemens énergiques aux ennemis