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engagés et l’honneur du pays et le sang de nos soldats. Nous sommes néanmoins forcés de l’avouer, jusqu’à ce que notre gouvernement ait donné des éclaircissemens complets et péremptoires, la façon dont l’affaire du Mexique a été politiquement et militairement conduite prêtera le flanc, en apparence du moins, à de graves objections.

Nous admettons le point de départ : il était nécessaire, pour obtenir le redressement de nos nombreux griefs contre les gouvernemens spoliateurs qui se sont succédé au Mexique depuis plusieurs années, de faire sentir aux dominateurs actuels de ce beau pays la main de la France. L’Espagne, l’Angleterre ayant à faire valoir des réclamations semblables aux nôtres, il était sage d’obtenir qu’elles s’unissent à nous dans la même revendication. L’alliance de l’Angleterre et de l’Espagne dans cette œuvre commune présentait deux avantages : un avantage moral et un avantage matériel. Une action concertée des trois puissances occidentales de l’Europe était de nature à exercer une plus grande influence morale sur l’esprit des Mexicains et à leur adoucir même l’amertume des concessions qu’ils devraient faire. Le concours de l’Angleterre et de l’Espagne, en ne nous laissant plus qu’une part des charges de l’expédition, devait en rendre les frais moins onéreux à nos finances. Tels étaient les avantages de la coopération anglo-espagnole ; mais quand un état, en de semblables circonstances, juge utile la coopération d’autres états, il ne lui est pas permis d’oublier les conditions restrictives que l’action collective impose à sa propre politique. L’on n’obtient et l’on ne maintient une action commune qu’à la condition de contenir sa politique dans des limites clairement définies. Il faut à cet égard avoir bien pris son parti d’avance et accepter les inconvéniens en même temps que les avantages d’une action concertée. Il n’est pas permis à une politique sensée et pratique, une fois engagée dans une telle direction, de provoquer des surprises ou de s’y exposer. Commencer une entreprise par une alliance et la finir dans l’isolement, c’est perdre tous les avantages de l’action commune après en avoir subi les inconvéniens. À en venir là, mieux vaut dès le principe avoir agi seul et ne s’être point encombré d’alliés qui, au moment où ils vous abandonnent, vous deviennent singulièrement nuisibles.

Nous ne saurions trop insister sur ce point, que dans une action concertée, surtout pour une entreprise si lointaine, tout dans la politique doit être défini d’avance et prévu. Ce sont les premiers élémens de la politique et de la diplomatie C’est une faute de rien livrer, quant à l’objet d’une alliance, aux interprétations des agens et à l’entraînement hasardeux des événemens. En des questions pratiques de cette importance, il n’est pas permis de laisser vaguement flotter ses desseins dans l’entre-chien et loup des demi-confidences, des insinuations et du calcul des influences personnelles. Ce n’est point par des conversations et des lettres particulières que l’on peut régler l’objet d’une alliance, c’est uniquement par des conventions précises, par des pièces officielles pouvant être livrées à la publicité. Si ces vérités élémentaires avaient eu besoin d’être confirmées par une