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sculpture sont des arts essentiellement aristocratiques, qui demandent, pour être compris, une longue familiarité avec tout ce qui est élevé et grand. Les secrets qu’elles contiennent sont refusés au pauvre, à l’ignorant et pour prendre une expression plus générale, à tous les novices de la vie et de la sagesse. Il leur faut pour public des âmes vieillies, mûres, sérieuses et graves, des âmes qui connaissent les derniers résultats de la vie, car ces arts sont eux-mêmes des résultats de civilisation et de vie morale. Ils confirment l’expérience et la sagesse de ceux qui savent ; ils ne peuvent rien enseigner à celui qui ne sait pas. Au contraire, la musique est une initiatrice. Nul n’a besoin avec elle de longues préparations et d’éducation profonde et sévère, car elle ne demande pas pédantesquement à être comprise elle ne demande qu’à être sentie et à être aimée. Vous pouvez vous présenter pour écouter ses accens avec une âme toute neuve, sans lien avec le passé, sans parenté avec l’histoire : elle ne vous fera pas rougir de votre ignorance et de votre condition d’orphelin ou de parvenu social, car elle vous parlera un langage que le temps n’a pas contribué à former et qui peut se comprendre sous toutes les latitudes. Les sentimens qu’elle exprime ont toujours la fraîcheur de l’heure présente, et semblent s’écouler comme d’une région où les divisions du temps sont inconnues. Il est donc bien naturel que la musique soit si populaire, et qu’elle exerce sur les hommes de notre temps une si grande influence. S’en étonner serait presque aussi puéril que de s’étonner de la puissance de la religion ; on peut faire ce rapprochement sans blasphème, car la musique a sur les autres arts précisément la même supériorité que la religion sur les philosophies. Comme la religion, elle est mystérieuse, voilée, disons même occulte ; ses secrets et ses principes sont impénétrables à d’autres yeux qu’à ceux des initiés, et cependant tous les hommes peuvent, sans distinction de caste, de nationalité, de patrie, d’éducation, et même de vertu et de moralité, participer à ses bienfaits. Elle ouvre les sources de la vie morale, comme la religion, sans expliquer comment et pourquoi elle les ouvre, et pour ennoblir et émouvoir, elle n’a pas besoin de se faire comprendre. Elle nous fait entendre la voix de l’esprit sans nous dire d’où il vient ni où il va. Elle conseille de croire, d’aimer, d’espérer, et soudain ceux qui ne croyaient, n’aimaient, ni n’espéraient, sont fortifiés et comme gonflés d’une sève divine. Les autres arts font payer d’avance les leçons qu’ils donnent en efforts d’intelligence, en persévérance de travail, en patience, en application soutenue ; mais la musique, comme la religion, prête sans conditions toutes les vertus morales aux cœurs qu’elle visite, ces cœurs fussent-ils même les moins dignes de les recevoir.