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sur le seuil de leurs misérables tavernes, à la manœuvre, au coin des carrefours, au fond de leurs casernes, et elles ont passé sur eux comme la caresse d’un esprit invisible. Leur âme en est restée songeuse et un peu triste ; cela se voit à leur physionomie douce, modeste et résignée, fort différente de la physionomie tapageuse de l’ancien soldat français. Aussi reconnaît-on dans leur courage une influence toute nouvelle et que l’humanité antérieure n’avait jamais connue. Cet héroïsme nouveau, qui est encore à son début et qui s’est révélé avec toute la fraîcheur de l’aube, ne s’est plus présenté comme le résultat d’un effort volontaire, comme une énergie désespérée où une froide et majestueuse détermination, mais comme un mouvement naturel de l’âme. L’héroïsme jusqu’à une époque très récente a participé du caractère des arts qui étaient familiers à l’humanité ; il en avait en lui quelque chose de plastique et de pittoresque. L’homme se raidissait dans une attitude sculpturale et pénible, résultat d’un effort d’esprit et d’une détermination douloureuse. Il ne savait pas non plus, dirait-on, mourir tous les jours et à toutes les heures ; il semblait choisir son heure et son moment, et il aimait à tomber en belle et pleine lumière. Rien de pareil dans l’héroïsme de nos soldats tel que l’ont montré ces dernières campagnes : nulle raideur, nulle tension, nuls combats visibles de la volonté ; rien qu’un instinct léger, facile, ailé en quelque sorte, rapide et doux comme une onde sonore. Nos soldats ont rendu leur vie à Dieu comme un son meurt dans l’air, ou comme un parfum s’évapore. Voilà le courage moderne, celui qui est destiné à prévaloir et à effacer l’ancien courage, qui ne s’obtenait que par l’effort laborieux de la volonté et par une sorte de violence faite à la nature. Mon cœur a vraiment bondi en reconnaissant que les jours approchaient où l’héroïsme sera aussi facile à l’âme de l’homme que le sourire est facile au visage de l’enfant.

Mais le courage n’est après tout qu’une de nos vertus. Si nous prenions successivement toutes les autres, nous y trouverions, je crois, le même élément musical. J’ai maintes fois entendu regretter par les personnes pieuses d’une autre communion que la vôtre la disparition des vertus monastiques : l’humilité, la douceur, la résignation, la patience, l’oubli de soi, le détachement des choses de ce monde. Toutes ces fleurs de la solitude religieuse se sont desséchées à jamais sur la terre, disaient-ils et y ont été remplacées par les plantes vivaces de l’orgueil, de la révolte, de l’esprit de domination, de l’âpreté à la conquête des biens matériels. Moi-même j’ai partagé très longtemps cette opinion. Non, ces anciennes vertus ne sont pas mortes et, si elles étaient menacées, l’influence de la musique suffirait pour les sauver. Une fois à Naples, on fut embarrassé