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barrière, du premier au dernier, descendant par une échelle rapide, il se mêle à tous ces animaux dont sa raison cependant lui atteste l’infériorité, et voilà le roi de la création, cet être à qui sa conscience ouvrait les perspectives du juste et du beau, qui avait le droit d’espérer, de se tourner vers Dieu, le voilà rejeté dans le chaos infime des créations primitives ! On peut dire que jamais plus grand, plus terrible problème n’a été soumis à notre curiosité, et tous les efforts des peuples civilisés doivent tendre à le résoudre.

L’Afrique est couverte de maux qu’il faut adoucir. Le pire de tous, c’est l’esclavage. Le jour où le noir en sera venu à respecter son semblable, il aura fait vers l’amélioration un pas immense. Pour obtenir un tel résultat, les nations européennes ne doivent cependant pas employer la contrainte. Peut-être un grand déploiement de forces pourrait-il frapper l’esclavage et le faire momentanément disparaître de Zanzibar, un de ses principaux foyers : aussi les Arabes, si habiles à exploiter l’Afrique, ont en horreur les Européens et leur abolition de la traite ; mais ce ne sont pas les effets, ce sont les causes qu’il faudrait atteindre. Autrement ni flottes ni traités ne sauraient avoir raison du trafic humain à la côte, et moins encore dans l’intérieur. On essaierait en vain de cicatriser par des procédés violens cette plaie toujours saignante : le remède n’est pas dans la force ; s’il peut se trouver à son heure dans la persuasion, la douceur, la bienveillance des enseignemens, cette heure semble bien éloignée encore ! Quelle misère, quelle dégradation, quelle négation des devoirs, des sentimens de l’humanité, de la conscience dans ce vaste continent ! Les tribus y vivent dans une permanente inimitié ; le fort se jette sur le faible et le vend à la première caravane qui passe. Une telle barbarie ne saurait être le terme de la destinée de tant d’êtres humains ; c’est à nos sociétés mieux douées, plus favorisées, de relever ces malheureuses créatures, de tourner leurs regards vers Dieu, et de leur enseigner leurs devoirs. L’énergie de la charité chrétienne n’est pas incapable de ce miracle ; mais quel temps, quelles séries de générations, quelle patience et quels efforts ne faudra-t-il pas pour opérer de si grands changemens dans l’histoire du monde ! Ne désespérons pas néanmoins ; peut-être le redressement de tant de misères et d’horreurs se trouvera-t-il à la dernière étape de la marche que les hommes poursuivent sur cette terre, peut-être sera-ce le couronnement de l’œuvre patiente et graduelle qu’accomplit la civilisation.


ALFRED JACOBS.