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C’est là que Barth, égaré dans une course imprudente, faillit périr, il y a douze ans, au début de son voyage. Enfin la caravane atteignit R’at. Cette petite ville est dominée à l’ouest par un mamelon couronné d’un bois de palmiers. Elle est habitée par les Touaregs, qui y ont élevé des maisons de pierre, de terre, et de simples tentes de peau de buffle. La population touareg s’y compose de deux races différentes, l’une conquérante, les ihoggar ou nobles, l’autre conquise, les im’rad, qui paie aux premiers une redevance annuelle et leur abandonne le dixième des produits qu’elle vend et achète. Les premiers semblent, par certains caractères, se rattacher aux races blanches, tandis que les seconds sont évidemment de sang noir. La population permanente de la ville ne dépasse pas six cents âmes, mais elle est plus que décuplée par la population flottante des commerçans, des industriels, forgerons, cordonniers, qui vient des oasis environnantes pour faire le trafic avec R’at. Beaucoup de caravanes viennent du Fezzan, et même de l’Égypte, du Bornou et du Haoussa. On trouve sur les marchés des soieries, des cotonnades, de la verroterie, et beaucoup d’autres objets. Il faut aux caravanes huit jours pour se rendre du Fezzan à R’at. Les produits européens sont presque exclusivement de fabrique anglaise. Ils pénètrent par les côtes de Guinée, de Sénégambie, par le Maroc, Tripoli et l’Égypte. Les Anglais ont mis à la poursuite de ce monopole du temps et de la patience, mais ils ont su se rendre maîtres du commerce de tout le centre de l’Afrique. Leur premier soin a été de s’assurer de colporteurs pour traverser ces régions. Ils se sont adressés aux marchands de R’adamès, puis des négocians anglais sont venus s’installer à Tripoli, et ils n’ont pas craint d’ouvrir à leurs sauvages intermédiaires de larges crédits, certains que l’intérêt les leur ramènerait toujours. En effet, il y a aujourd’hui des maisons qui présentent la singulière association d’Anglais avec des Touaregs ou des Arabes, et qui font souvent de grandes fortunes. L’Angleterre n’a pas seulement là des débouchés pour ses marchandises, elle s’y fait aussi de nombreux partisans, qui la présentent aux Africains de l’intérieur comme la nation la plus puissante et la seule amie des musulmans.

Pour avoir le tableau complet des travaux d’exploration dont l’Afrique a été le théâtre dans ces dernières années, il faut ajouter aux recherches que nous venons de retracer celles qui ont eu pour objet les sources du Nil, dont la Revue a récemment entretenu ses lecteurs[1], et aussi les laborieuses et importantes expéditions dont M. le colonel Faidherbe a couvert le bassin du Sénégal, et dont

  1. Voyez la Revue du 1er mars et du 1er avril 1862.