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crue. La population qui se porta au-devant des canots avait un aspect chétif, sale et dégradé. Un chef indigène d’un des canots tira sur ces sauvages un coup de fusil, et ils répondirent par d’effroyables hurlemens.

En quittant ce hideux pays, les canots se mirent à côtoyer le rivage, et ils arrivèrent, après dix heures de navigation, à la frontière méridionale de l’Uwira. Le peuple de ce pays est policé relativement à ceux des environs. Son commerce a une grande activité, et la ville d’Uwira est un des principaux marchés d’ivoire, d’esclaves, de grains, d’étoffes d’écorce, d’ouvrages, en fer. L’importation consiste en sel, tabac, coton, étoffes, perles. L’ivoire s’y paie son poids de cuivre. Le travail du cuivre est d’ailleurs une industrie du pays. On y fabrique aussi des nattes, des corbeilles, des paniers. Les marchandises y sont, relativement aux pays voisins, à très bas prix. Les trois fils du sultan d’Uwira vinrent visiter les Européens. C’étaient trois hommes de formes athlétiques, les plus beaux spécimens de la race noire de ces contrées. Leurs traite étaient agréables, réguliers, et d’un noir de jais. Ils étaient bien drapés dans de larges vêtemens d’écorce rouge ; leur prunelle avait des tons d’opale, leurs dents étaient blanches comme l’ivoire, et une profusion de colliers et d’anneaux massifs chargeaient leurs bras et leurs jambes ; des colliers de dents d’hippopotame entouraient leur cou.

M. Burton subissait à ce moment même un cruel désappointement : on n’était plus qu’à une très faible distance de la pointe septentrionale du lac ; ses bords, en se resserrant, indiquaient qu’il allait finir, et les équipages se refusaient à aller plus loin. À entendre Kannena, sommé de tenir ses engagemens, les populations de ces bords étaient tellement sauvages que tous les hommes refusaient d’y aller risquer leur vie, et ni les promesses ni les menaces ne purent changer sa détermination. M. Burton eut du moins la consolation de pouvoir interroger les jeunes fils du sultan sur un pays qu’ils connaissaient bien. Ils lui affirmèrent que le Ruzisi, la rivière mystérieuse du nord, est un affluent du lac, non un canal de décharge, comme le prétendent les Arabes. Maruta, le sultan d’Uvira, et les trois géans ses fils ne manquèrent pas de réclamer le présent de bienvenue ; ils obtinrent douze vètemens, des bracelets de verre et trente colliers de corail. En échange, ils envoyèrent des chèvres et du lait.

Lorsque l’expédition quitta Uwira en avril 1858, la saison humide en était à ses dernières convulsions, et de terribles tempêtes bouleversaient les eaux du lac. Les canots eurent à en subir une des plus violentes. À la suite d’un calme plat survint un vent froid ; le ciel était obscurci par des nuages que déchiraient de fréquens éclairs ;