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d’Ujiji se refusent absolument à s’y rendre, parce que les tribus riveraines leur sont hostiles, et qu’elles sont réputées anthropophages. Cependant M. Burton avait l’intention de pousser son exploration jusqu’à ce point mystérieux ; enfin, après bien des pourparlers, un chef, appelé Kannena, s’engagea, pour un prix exorbitant il est vrai, à le conduire à Uwira, l’ultima Thule de la navigation du lac. Pour deux canots de petites dimensions, Kannena exigea trente-trois bracelets de la valeur de soixante dollars, trente-six colliers de perles de verre, vingt vêtemens et sept cent soixante-dix dittos ou porcelaines blanches, qui sont ces mêmes coquilles qu’on appelle cauris sur le Niger. Quant aux vêtemens, qui forment un des principaux objets d’échange dans ces régions, ils consistent en une pièce de coton longue de 3 mètres, une ceinture et un turban. M. Burton mit le comble à ses encouragemens en jetant sur les épaules de son conducteur une magnifique pièce écarlate, ce qui lui causa la joie la plus vive. Le capitaine et chaque homme de l’équipage reçurent, outre leur ration, huit vêtemens, cent soixante-dix khetés (colliers ou bracelets) de perles bleues et quarante porcelaines. L’interprète, Sayfé, se fit donner pour sa part huit vêtemens et vingt-sept livres de porcelaines blanches et bleues. Les équipages des deux canots consistaient en cinquante-cinq hommes : c’était le double du nécessaire ; mais le prix était si avantageux que la tribu entière fut volontiers venue.

Les canots ne se composent que de troncs creusés à la hache. Les plus grands sont faits de planches grossièrement taillées et rattachées entre elles avec des cordes de palmier. M. Burton put alors justement déplorer la perte d’une embarcation de fer qu’avait emportée l’expédition anglaise. Les canots indigènes n’ont ni mâts ni voiles ; on les mène avec des espèces de rames longues de six pieds et faites d’un fort bâton, à l’extrémité duquel s’allonge un morceau de bois en forme de trèfle, large comme la main. Les rameurs sont assis sur des bancs ; en ramant, ils font toujours entendre un chant ou plutôt un cri monotone qu’ils n’interrompent de temps en temps que pour se quereller ou crier senga ! senga ! (videz l’eau). Dans un cercle de cuivre est enfermé à l’arrière le gouvernail ; des bandes de bois de palmier élevées au-dessus du bordage servent à protéger la cargaison, qui souvent consiste en sel. Ces embarcations présentent peu de sécurité. Au centre, dans un espace vide long de six pieds, sont entassés les objets de rechange et les provisions.

Trois principales stations sur le lac sont en communication avec Ujiji : ce sont au nord Uwira, marché d’ivoire et d’esclaves, — les îles de Kivira et de Kasenge sur le bord occidental du lac, — la terre de Marunga au sud. Les mauvais canots d’Ujiji cabotent le long