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et au bout de trois jours le mélange a pris l’acidité du vinaigre. Il possède alors des propriétés très enivrantes ; on en vient vite à surmonter la première répugnance que cause l’amertume du breuvage, et cette ivresse présente une certaine analogie avec celle que produit le kava océanien. Les résultats ne sont pas moins pernicieux : ils consistent dans une vive excitation suivie d’un profond sommeil, avec une pénible courbature au réveil. L’usage du pombé amène des rhumatismes., et l’on en reconnaît les amateurs à leur œil chassieux. Avant de tomber en ivresse, un buveur émérite peut absorber environ un gallon, c’est-à-dire cinq litres, et il y a des individus des deux sexes qui semblent ne vivre que de cet affreux liquide.

Ces renseignemens nous prouvent que les indigènes de l’Afrique orientale et centrale ne sont pas d’une haute moralité. Pour eux, l’idéal d’une belle existence, c’est l’inaction, le sommeil, jouer, fumer, mais surtout manger. La chair, voilà le rêve de l’Africain. Il peut assez facilement le satisfaire dans les contrées naturellement riches comme l’Unyamwezi. De plus, il a le poisson, les grains, les végétaux. Le lait, le beurre, quelques fruits tels que la banane et la datte du palmier de Guinée sont considérés comme alimens de luxe. Le miel est très abondant, et il n’y a guère de village à la suite duquel on ne voie ces alignemens de ruches que les nègres appellent mazinga. Les années où le miel est abondant, les Arabes en font un sucre de couleur brune dont on use partout où ne croît pas la canne. Dans les lieux où celle-ci pousse, on l’emploie à l’état naturel, les noirs n’ayant pas encore imaginé d’en extraire le suc. Cependant le sucre est une des friandises les plus recherchées de ces nègres, et ils font force contorsions pour en obtenir et pour remercier quand ils en ont obtenu.

Le poisson abonde dans les cours d’eau et dans les lacs de ces terres bien arrosées ; cependant il est abandonné aux pauvres et aux esclaves. De l’aveu des Arabes, les végétaux sont durs et indigestes sous cette latitude. Le gibier est réputé inférieur aux viandes d’animaux domestiques. Après les bœufs, on estime principalement les chèvres. Les moutons sont chétifs et vendus à vil prix. Les poules, les pigeons sont aussi en grande faveur ; mais les œufs excitent une répugnance unanime, sans qu’on en sache la cause. Des animaux sauvages, le plus recherché est le zèbre ; on en fume la chair. Certaines espèces d’antilopes sont succulentes, mais la plupart ont la chair noire, dure et indigeste. Le meilleur moyen pour un voyageur européen et déterminer des Africains à le suivre, c’est de leur promettre une abondante nourriture. Réunir quelques provisions est le seul soin dont ces noirs soient capables ; ils sèchent, fument et salent