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de la constitution anglaise. Serait-il trop difficile à faire accepter s’il était vrai et sincère, trop facile à réfuter s’il ne l’était pas, et le parallèle et les conclusions où l’on serait nécessairement amené seraient-ils trop humilians pour notre orgueil national ? Quoi qu’il en soit, un plus utile sujet d’étude ne saurait être offert à la génération actuelle, et ce serait lui rendre un signalé service que de résumer les excellens travaux historiques déjà faits, en y ajoutant des notions plus complètes dans la forme lucide et familière qui convient à notre pays. On voudrait croire qu’il se rencontrera un talent élevé et mûri par l’expérience pour nous prémunir contre les erreurs et les illusions du passé, et nous montrer, par l’exemple de l’Angleterre, où manquait la base fixe et solide qui eût dû soutenir et faire réussir nos précédens essais de libre gouvernement. Montesquieu, qui passa deux années en Angleterre avant d’écrire son immortel ouvrage de l’Esprit des lois, n’a point laissé sur ce sujet l’un de ces chapitres lumineux et concis par lesquels il sait faire pénétrer une clarté soudaine et si vive dans les ténèbres historiques des constitutions des peuples. Voltaire lui-même, après trois années de séjour en Angleterre, où il étudia la philosophie, la politique et la littérature, ne paraît pas non plus avoir pénétré bien avant dans la connaissance des principes fondamentaux des institutions de ce pays, qu’il fit profession d’admirer, témoin ces vers connus de la Henriade, mais peu exacts dans leur précision exagérée :

Aux murs de Westminster, on voit paraître ensemble
Trois pouvoirs étonnés du nœud qui les rassemble,
Les députés du peuple et les grands et le roi,
Divisés d’intérêts, réunis par la loi.

Dans les libres institutions dont l’Angleterre de George II lui offrait le spectacle, Voltaire semble n’avoir pas su ou voulu démêler la réalité de l’apparence ; car « les députés du peuple » et les « trois pouvoirs étonnés » n’ont jamais eu une égalité de puissance ni des rapports aussi nets qu’il le prétend. En dépit des progrès que les études sur la constitution intérieure des états ont faits chez nous depuis Voltaire, voilà plus d’un siècle bientôt que le fond de notre science politique sur l’Angleterre se résume à peu près dans les vers de la Henriade. Il était pourtant facile de découvrir que depuis 1688 surtout aucun pays n’a marché d’un pas plus ferme et plus sûr vers l’unité de gouvernement établie en dehors du peuple et de la royauté. Guillaume III, une fois affermi sur le trône, sentit si bien la vanité de ses efforts pour résister à ce mouvement, qu’il concentra toutes les forces de son pouvoir personnel vers la guerre et les affaires diplomatiques, laissant en grande partie la gestion des affaires intérieures