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Cette assertion sur la part faite au principe démocratique en Angleterre est fort contestable. Au temps de Cromwell seulement, sous la forme puritaine et militaire, cette part fut assez grande, et on sait quelle fut alors celle de la liberté. Accordons cependant que l’Angleterre possède les combinaisons les plus satisfaisantes au point de vue de l’exercice du gouvernement parlementaire. De quelles forces dispose-t-elle pour défendre ces institutions précieuses ? On trouvera la réponse à cette question dans un curieux chapitre intitulé : Des forces défensives matérielles. Ces forces sont considérables, à ne compter que celles que la courageuse et ferme aristocratie anglaise trouverait dans son immense et dévouée clientèle, et que le commerce et le demi-million de créanciers de la dette publique fourniraient aussi pour résister à outrance à toute tyrannie, soit d’un prince, soit d’une insurrection populaire. L’auteur estime que les détenteurs de la rente, dont le nombre dépasse six cent mille, pourraient fournir cent cinquante mille hommes bien équipés. La propriété foncière, qui représente un revenu de 60 millions sterling (1 milliard 500 aillions de francs), compte deux cent mille propriétaires, dont les tenanciers et les cliens sont certainement en nombre double, ce qui formerait une armée de six cent mille hommes, en supposant même que la classe des manufacturiers et des commerçans restât neutre, ce qui n’est guère probable, car autant que personne elle a intérêt à défendre l’ordre et la propriété.

Confiante dans son amour de la paix, l’Angleterre ne veut pas d’armée permanente à l’intérieur, et a l’œil très ouvert sur les dangers que fait courir aux libertés des peuples l’entretien régulier d’une trop grande force militaire ; la milice et le peuple armé en cas d’urgence lui paraissent de suffisans moyens de défense nationale à l’intérieur comme à l’extérieur. C’est l’idée qu’on a voulu réaliser par la formation des corps de volontaires, qui depuis deux ans a si fort occupé les esprits en Angleterre. La conscription est aux yeux des Anglais une institution injuste et tyrannique envers les individus, frappant très inégalement les diverses classes de la société, et trop favorable à la création des grandes armées permanentes, qui sont naturellement aux ordres des princes ; l’enrôlement volontaire leur semble une suffisante garantie pour maintenir leur effectif sur un pied normal, et en effet pendant les terribles guerres de l’empire ils n’ont pas cherché à changer ce principe de recrutement, Il faut remarquer ici qu’une organisation militaire aussi faible et aussi rassurante pour la liberté individuelle des citoyens peut convenir à l’Angleterre, mais serait insuffisante pour la plupart des grands états du continent. Les îles britanniques sont un champ clos où, à l’abri de l’invasion étrangère, les Anglais peuvent en sûreté prolonger