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sur les sujets les plus divers, nous ne pouvions nous empêcher de voir circuler et s’agiter à travers les pages de son livre, comme autant de petits génies affairés, comme autant de nymphes ou d’ondines occupées à alimenter les sources secrètes des ruisseaux, tous les instincts, les penchans et les goûts de la race écossaise. M. Patterson, qui à l’occasion ne se refuse pas, — en homme bien élevé du reste, — le plaisir de lancer une légère épigramme contre la volatilité gauloise, ferait bien d’y prendre garde, car, ainsi que Macauley, Carlyle, lord Brougham, et presque tous les écrivains écossais, il a dans le tour et l’ordre de ses idées, dans sa manière même d’écrire l’anglais, quelque chose qui rappelle de très près le tempérament intellectuel de la France. Il serait facile à traduire dans notre langue, et un lecteur français n’aurait nulle peine à se mettre à son pas. Chose remarquable, tandis que l’Irlande a fourni et fournit encore au royaume-uni tant d’avocats et d’orateurs, c’est l’Ecosse qui semble avoir pris pour elle la métaphysique, l’argumentation, et tous les travaux qui répondent au besoin de généraliser, de ramener à l’unité. Elle a fondé la haute presse critique de l’Angleterre en créant la Revue d’Edimbourg, elle a donné à la Grande-Bretagne presque tous ses philosophes, elle lui a donné les trois hommes qui ont érigé en système l’économie politique, elle a produit une bonne partie de ses grands historiens, nous voulons dire ceux qui ont écrit des histoires générales, et qui, par cela seul, devaient être avant tout des généralisateurs. En face de l’église anglicane enfin, c’est le calvinisme écossais qui représente la théologie systématique, la religion logiquement déduite d’un principe unique, et si jamais l’Angleterre coordonne sa législation, probablement ce seront des Écossais qui prendront l’initiative de cette œuvre d’unification.

M. Patterson est sans doute un homme supérieur, et il est loin de laisser faire ces instincts qui sont entrés en lui par droit de naissance, ces génies de son tempérament; toujours est-il qu’ils sont bien en lui. Quoiqu’il ait aussi son côté poétique, c’est un esprit essentiellement clair et logique qui aime à spéculer, à embrasser de vastes ensembles, et qui procède volontiers par des séries consécutives de raisonnemens, un esprit chez qui le besoin de comprendre, d’expliquer et de résumer l’emporte d’une manière décidée sur le sentiment et sur les émotions capricieuses de l’imagination. Éditeur d’une excellente publication mensuelle qui a joué un rôle important et parfois bruyant comme organe du parti tory, M. Patterson représente très méritoirement l’Ecosse du présent, la presse actuelle d’Edimbourg et l’influence qu’elle exerce en Angleterre. La même position que le Blackwood a prise à l’égard de la poésie en combattant l’école convulsionnaire, transcendentale et subjective, et en lui opposant le bon sens objectif de Macauley et d’Aytoun, le directeur du Blackwood la prend et la défend énergiquement à l’endroit des beaux-arts. On sent chez lui cette espèce de positivisme qui a toujours été un des traits de la philosophie écossaise, et qui n’aurait qu’un pas à faire pour aboutir à des idées comme celles de notre Cabanis ou de notre Condillac. Seulement ce pas, M. Patterson ne le fait point : en même temps qu’il est Écossais, il est de son époque : il participe à la réaction qu’ont provoquée partout les exagérations du dernier siècle, et