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de plus, des lenteurs de plus, de nouveaux embarras, de nouvelles dépenses, et pourquoi? On ne peut rien attendre de la province qu’on ne puisse tout aussi bien obtenir du département.

Au nombre des avantages qu’attend M. Jules Chevillard de cette création, il range l’action salutaire qu’exerceraient, selon lui, ses administrations provinciales pour arrêter le mouvement des populations rurales vers les grandes villes. Je croirais plutôt à l’effet contraire. Ce qui attire les hommes vers les centres de population, c’est la centralisation des capitaux. Cette centralisation ne ferait que s’accroître le jour où les vingt-cinq premières villes de France deviendraient des capitales de province. Les gouverneurs voudraient avoir de gros traitemens, une sorte de cour, le tout aux dépens des contribuables. On paraît croire que le mal de l’émigration intérieure était inconnu sous l’ancien régime : c’est une erreur; tout le monde s’en plaignait au XVIIIe siècle, il a commencé sous Louis XIV avec la centralisation monarchique. Je ne comprends pas davantage eu quoi une organisation provinciale pourrait servir au développement de l’agriculture, des travaux publics, des sciences, des lettres, des arts. « Le département, dit-on, a des bornes trop étroites. » Il semble au contraire que plus une circonscription est étroite, plus l’attention peut se porter sur tous les points et sur tous les intérêts qu’elle embrasse. Les travaux publics les plus urgens se divisent en deux catégories, les chemins de fer et les chemins vicinaux; les premiers resteront dans toutes les hypothèses entre les mains de l’état, à cause des considérations politiques et financières qu’ils soulèvent et que l’état seul peut convenablement aborder. Pour les chemins vicinaux, loin de trouver le département trop petit, je le trouverais plutôt trop grand : les chemins vicinaux sont beaucoup plus une affaire d’arrondissement et même de canton.

On dit que les provinces protestèrent en 1789 contre la nouvelle division: il y eut en effet quelques réclamations; mais les adhésions dépassèrent de beaucoup les résistances, ce qui se conçoit sans peine, puisque le nombre des chefs-lieux passait de trente-trois à quatre-vingt-trois. Le gouvernement de Louis XVI voulait lui-même réformer la division par généralités; il voulait étendre tôt ou tard aux pays d’états le régime des assemblées provinciales, afin d’établir partout un système uniforme d’administration. Le nombre des provinces ainsi reconstituées eût été probablement inférieur de moitié au nombre actuel des départemens, mais le but était le même; c’est pourquoi Louis XVI accueillit avec empressement la formation des départemens, qui réalisait, en l’exagérant un peu, la pensée de ses prédécesseurs et la sienne. Le trait le plus révolutionnaire de cette organisation, c’est la substitution des nouveaux noms aux anciens. Que ce soit là un fait regrettable, je ne le nie pas; mais il ne faut pas non plus y attacher trop d’importance. Les anciens noms ne pouvaient pas périr et n’ont pas péri, on les emploie aussi souvent que les nouveaux. Rien ne serait plus facile que de rendre aux départemens les noms qu’ils ont portés un moment : le département de l’Ain s’appellerait le département de la Bresse, l’Aisne redeviendrait la Haute-Picardie, l’Allier le Bourbonnais, l’Ardèche le Vivarais, et ainsi de suite; mais à quoi bon? Les noms actuels sont à leur tour