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de cette épreuve. Nous partageons, quant à nous, l’opinion du Times, et nous pensons que, lorsque la question romaine sera terminée, M. Disraeli se convaincra que l’Angleterre aura été une utile amie de notre gouvernement dans les nombreuses difficultés de sa politique italienne, et que l’empereur n’aura pas à se plaindre d’avoir eu un excitateur aussi tenace que lord Palmerston.

Sur le terrain où M. Disraeli s’était placé pour attaquer sa politique étrangère, le premier ministre anglais avait beau jeu. Aussi sa verte vieillesse était-elle en belle humeur lorsque, saisissant l’occasion que lui offrait son adversaire, il a pu renouveler devant la chambre ses protestations de sympathie en faveur de l’Italie émancipée et rappeler avec une spirituelle fierté les succès que l’Angleterre a obtenus dans sa politique italienne par les seules armes de l’influence morale ; mais sur la question générale qu’avait soulevée M. Disraeli, sur la cause et la portée de ces ruineux armemens par lesquels une enchère sans limites semble être ouverte entre la France et l’Angleterre, lord Palmerston n’a, ce nous semble, rien dit de satisfaisant. L’Angleterre, suivant lui, n’arme que pour sa défense ; elle veut entrer dans les conseils de l’Europe avec une puissance défensive suffisante pour qu’aucune appréhension ne doive l’arrêter dans l’expression de ses opinions, pour n’avoir à céder à aucune panique, pour tenir le langage franc, ouvert et ferme que tiennent ceux qui savent qu’ils n’ont rien à craindre. Qu’une telle prétention soit légitime, nous ne voulons pas le contester ; mais s’il était vrai qu’il n’y eût pour les états d’autre garantie de sécurité que celle qu’ils peuvent puiser dans leurs armemens actifs, on ne verrait pas où s’arrêteraient ces armemens et les dépenses qu’ils entraînent. S’imagine-t-on la France et l’Angleterre occupées sans relâche à mesurer leurs forces respectives de terre et de mer, et appliquées, aussitôt que l’une aurait l’avance sur l’autre, à faire de nouveaux efforts pour s’atteindre ou se dépasser mutuellement ? À l’appui de sa thèse, lord Palmerston a invoqué des argumens indignes du triomphant doyen des hommes d’état de l’Europe. Il a prétendu que de grands peuples tels que l’Angleterre, la France, les États-Unis, étaient à la merci des coups de tête du premier venu de leurs officiers, que la paix du monde dépendait d’un Pritchard, d’un Wilkes, et que c’était pour être prêt contre les accidens de ce genre que les peuples civilisés devaient enfouir les ressources de la paix dans d’éternels préparatifs de guerre. Une telle conclusion serait insensée ; elle ferait honte à notre époque. D’ailleurs n’est-elle pas réfutée par les exemples même que lord Palmerston a cités ?

Nous avons plusieurs fois, dans ces dernières années, rencontré devant nous ce problème que M. Disraeli a rhabillé d’une nouvelle formule, et dont lord Palmerston élude la solution. Nous n’avons, pour notre compte, jamais hésité à signaler la seule cause véritable des énormes dépenses que la France et l’Angleterre s’imposent malgré la paix et au grand péril de la