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sur le chapitre des relations sociales, recherchait et cultivait la société des champions, eussent-ils été porteurs de houille, ainsi que ce même Tom, avant de prendre le reste[1]. « J’aime l’énergie, écrivait-il alors, même l’énergie animale, et j’ai grand besoin de force à la fois mentale et corporelle. »

L’auteur de Childe Harold n’est point le seul, il s’en faut de beaucoup, parmi les poètes et les artistes anglais qui ait témoigné une grande admiration pour la box et qui ait pratiqué cet exercice national. Sir Thomas Lawrence eut une rencontre à coups de poing, dans les champs de Bristol, avec un jeune homme qui devint plus tard le modèle de son Satan. Le nom de George Morland se rattachait aussi très intimement à la fraternité des prize-fighting men (hommes qui combattent pour gagner le prix). Je connais même aujourd’hui des écrivains modernes très distingués qui passent une ou deux heures par jour à se détendre l’esprit en raidissant les bras et en appliquant, en recevant de toutes leurs forces des coups plus ou moins amortis par le gantelet. La box est en grand honneur dans certaines écoles et dans les universités. Considéré au point de vue de l’hygiène et de la défense personnelle, cet exercice, que nos voisins ont élevé à l’état de science, est évidemment irréprochable ; mais, une fois la force développée, qui marquera la limite entre la défense et l’attaque ? L’immoralité du ring consiste dans le spectacle que donnent à la population anglaise deux hommes marchant l’un contre l’autre sans griefs aucuns, sans autre point d’honneur que celui d’obtenir la victoire, sans autre appât que celui du gain, et frappant à tours de bras au risque d’écraser le nez de l’adversaire, de lui briser les membres ou même de l’assommer sur place. « On ne peut pas empêcher ça, » disent naïvement les héros du poing, et en effet ce n’est pas leur faute ; s’il y a un coupable, c’est le public qui les regarde, qui les encourage et qui les applaudit.

On a dit des lutteurs de profession qu’ils appartenaient au genre homo et à l’espèce pugil. Le fait est qu’ils constituent une classe tout à part dans la société. On les reconnaît aisément à des traits de famille. C’est toujours le même front bas et étroit, le même occiput énormément développé. Si quelque chose pouvait donner raison aux principes de Gall et de Lavater, ce serait bien le pugiliste anglais avec le nez aplati, l’oreille saillante, la bouche épaisse, la poitrine large, la tête un peu encaissée et le cou de taureau fortement soudé aux épaules. On retrouve chez lui, à un degré qui surprend, le type que les artistes grecs ont donné à Hercule ; il descend en ligne droite du héros mythologique dont il s’attribue volontiers le nom, et s’il

  1. Le ceste est dans la bouche de Byron une réminiscence classique ; il avait sans doute en vue le combat de Dares et d’Entellus dans l’Enéide, qui, au ceste près, est regardé par les Anglais comme la description très exacte d’une partie de box.