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crifice que nous ferons pour le bien de la paix. — Et voilà ce que les Saxons redoutent le plus. Ils ne demandent pas mieux que d’appartenir au roi de Prusse ; ce qu’ils désirent, c’est de n’être pas divisés. — Nous sommes à portée de connaître ce qui se passe en Saxe, et nous savons que les Saxons sont désespérés à l’idée de devenir Prussiens. — Non ; tout ce qu’ils craignent, c’est d’être partagés, et c’est en effet ce qu’il y a de plus malheureux pour un peuple. — Sire, si l’on appliquait ce raisonnement à la Pologne ? — Le partage de la Pologne n’est pas de mon fait. Il ne tient pas à moi que ce mal ne soit réparé ; je vous l’ai dit, peut-être le sera-t-il un jour. — La cession d’une partie des deux Lusaces ne serait point proprement un démembrement de la Saxe : elles ne lui étaient point incorporées ; elles avaient été jusqu’à ces derniers temps un fief relevant de la couronne de Bohème ; elles n’avaient de commun avec la Saxe que d’être possédées par le même souverain. — Dites-moi : est-il vrai que l’on fasse des armemens en France ? (En me faisant cette question, l’empereur s’est approché si près de moi que son visage touchait presque le mien.) — Oui, sire. — Combien le roi a-t-il de troupes ? — Cent trente mille hommes sous les drapeaux et trois cent mille renvoyés chez eux, mais pouvant être rappelés au premier moment. — Combien en rappelle-t-on maintenant ? — Ce qui est nécessaire pour compléter le pied de paix. Nous avons tour à tour senti le besoin de n’avoir plus d’armée et le besoin d’en avoir une, de n’en avoir plus quand l’armée était celle de Bonaparte, et d’en avoir une qui fût celle du roi. Il a fallu pour cela dissoudre et recomposer, désarmer d’abord et ensuite réarmer, et voilà ce qu’en ce moment on achève de faire. Tel est le motif de nos armemens actuels : ils ne menacent personne ; mais quand toute l’Europe est armée, il a paru nécessaire que la France le fût dans une proportion convenable. — C’est bien ; j’espère que ces affaires-ci mèneront à un rapprochement entre la France et la Russie. Quelles sont à cet égard les dispositions du roi ? — Le roi n’oubliera jamais les services que votre majesté lui a rendus, et sera toujours prêt à les reconnaître ; mais il a ses devoirs comme souverain d’un grand pays et comme chef de l’une des plus puissantes et plus anciennes familles de l’Europe. Il ne saurait abandonner la maison de Saxe. Il veut qu’en cas de nécessité nous protestions. L’Espagne, la Bavière, d’autres états encore protesteraient comme nous, — Écoutez : faisons un marché ! Soyez aimable pour moi dans la question de la Saxe, et je le serai pour vous dans celle de Naples. Je n’ai point d’engagement de ce côté. — Votre majesté sait bien qu’un tel marché n’est pas faisable. Il n’y a pas de parité entre les deux questions. Il est impossible que votre majesté ne veuille pas par rapport à Naples ce que nous voulons nous-mêmes. — Eh bien ! persuadez donc aux Prussiens de me rendre ma parole. — Je vois fort peu les Prussiens et ne viendrais certainement pas à bout de les persuader ; mais votre majesté a tous les moyens de le faire. Elle a tout pouvoir sur l’esprit du roi, elle peut d’ailleurs les contenter. — Et de quelle manière ? — En leur laissant quelque chose de plus en Pologne. — Singulier expédient que vous me proposez ! Vous voulez que je prenne sur moi pour leur donner. »

« L’entretien fut interrompu par l’impératrice de Russie, qui entra chez l’empereur. Elle voulut bien me dire des choses obligeantes ; elle ne resta