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En même temps qu’il remettait ainsi la main sur le roi de Prusse, l’empereur Alexandre résolut de tenter une dernière démarche au- près du représentant de la France.


« ….. Avant que l’empereur Alexandre eût ramené la Prusse à lui, des personnes de sa confiance lui ayant conseillé de se tourner du côté de la France, de s’entendre avec elle et de me voir, il avait répondu qu’il me verrait volontiers, et que désormais, pour lui faire demander une audience, il fallait que je m’adressasse non au comte de Nesselrode, mais au prince Wolkonsky, son premier aide-de-camp. Je dis à la personne par laquelle l’avis m’en fut donné que, si je faisais demander une audience à l’empereur, les Autrichiens et les Anglais ne pourraient pas l’ignorer, qu’ils en prendraient de l’ombrage et bâtiraient là-dessus toute sorte de conjectures, et qu’en la faisant demander par la voie inusitée d’un aide-de-camp, je donnerais à mes relations avec l’empereur un air d’intrigue qui ne pourrait convenir ni à l’un ni à l’autre. A quelques jours de là, comme il demandait pourquoi il ne m’avait pas vu, on lui fit connaître mes motifs, et il les approuva en ajoutant : « Ce sera donc moi qui l’attaquerai le premier. » Ayant souvent l’occasion de me trouver avec lui dans de grandes réunions, je m’étais fait une règle d’être le moins possible sur son passage auprès de lui, de l’éviter autant que cela pourrait se faire sans manquer aux bienséances. J’en usai de la sorte samedi chez le comte Zichy.

« J’avais passé presque tout le temps dans la salle du jeu, et, profitant pour me retirer du moment où l’on se mettait à table, j’avais déjà gagné la porte de l’antichambre, lorsqu’ayant senti une main qui s’appuyait sur mon épaule et m’étant retourné, je vis que cette main était celle de l’empereur Alexandre. Il me demanda pourquoi je ne l’allais pas voir, quand il me verrait, ce que je faisais le lundi, me dit d’aller chez lui ce jour-là le matin à onze heures, d’y aller en frac, de reprendre avec lui mes habitudes de frac, et en me disant cela il me pressait le bras et me le serrait d’une manière tout amicale.

« J’eus soin d’informer M. de Metternich et lord Castlereagh de ce qui s’était passé, afin d’éloigner toute idée de mystère et de prévenir tout soupçon de leur part.

« Je me rendis chez l’empereur à l’heure indiquée. « Je suis, me dit-il, bien aise de vous voir. Et vous aussi, vous désiriez me voir, n’est-ce pas? » Je lui répondis que je témoignais toujours du regret de me trouver dans le même lieu que lui et de ne pas le voir plus souvent, après quoi, l’entretien s’engagea.

« Où en sont les affaires, et quelle est maintenant votre position? — Sire, elle est toujours la même : si votre majesté veut rétablir la Pologne dans un état complet d’indépendance, nous sommes prêts à la soutenir. — Je désirais à Paris le rétablissement de la Pologne, et vous l’approuviez; je le désire encore comme homme, comme toujours fidèle aux idées libérales, que je n’abandonnerai jamais; mais dans ma situation les désirs de l’homme ne peuvent pas être la règle du souverain. Peut-être le jour arrivera-t-il où la Pologne pourra être rétablie. Quant à présent, il n’y faut pas penser. — S’il ne s’agit que du partage du duché de Varsovie, c’est