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« …..L’objet de la conférence d’aujourd’hui, me dit lord Castlereagh, est de vous donner connaissance de ce que les quatre cours ont fait depuis que nous sommes ici. » Et, s’adressant à M. de Metternich : «C’est vous, lui dit-il, qui avez le protocole. » M. de Metternich me remit alors une pièce signée de lui, du comte de Nesselrode, de lord Castlereagh et du prince de Hardenberg. Dans cette pièce, le mot d’alliés se trouvait à chaque paragraphe ; je relevai ce mot : je dis qu’il me mettait dans la nécessité de demander où nous étions, si c’était encore à Chaumont ou à Laon, si la paix n’était pas faite, s’il y avait guerre et contre qui. Tous me répondirent qu’ils n’attachaient point au mot d’alliés un sens contraire à l’état de nos rapports actuels, et qu’ils ne l’avaient employé que pour abréger, sur quoi je fis sentir que, quel que fût le prix de la brièveté, il ne la fallait point acheter aux dépens de l’exactitude.

« Quant au contenu du protocole, c’était un tissu de raisonnemens métaphysiques destinés à faire valoir des prétentions que l’on appuyait encore sur des traités à nous inconnus. Discuter ces raisonnemens et ces prétentions, c’eût été se jeter dans un océan de disputes : je sentis qu’il était nécessaire de repousser le tout par un argument péremptoire. Je lus plusieurs paragraphes et je dis : « Je ne comprends pas. » Je les relus posément une seconde fois de l’air d’un homme qui cherche à pénétrer le sens d’une chose, et je dis ; « Je ne comprends pas davantage. » J’ajoutai : « Il y a pour moi deux dates entre lesquelles il n’y a rien, celle du 30 mai, où la formation du congrès a été stipulée, et celle du 1er octobre, où il doit se réunir; tout ce qui s’est fait dans l’intervalle m’est étranger et n’existe pas pour moi. » La réponse des plénipotentiaires fut qu’ils tenaient peu à cette pièce, et qu’ils ne demandaient pas mieux que de la retirer, ce qui leur attira de la part de M. de Labrador l’observation que pourtant ils l’avaient signée. Ils la reprirent; M. de Metternich la mit de côté, et il n’en fut plus question.

« Après avoir abandonné cette pièce, ils en produisirent une autre : c’était un projet de déclaration que M. de Labrador et moi devions signer avec eux, si nous l’adoptions. Après un long préambule sur la nécessité de simplifier et d’abréger les travaux du congrès, et après des protestations de ne vouloir empiéter sur les droits de personne, le projet établissait que les objets à régler par le congrès devaient être divisés en deux séries, pour chacune desquelles il devait être formé un comité auquel les états intéressés pourraient s’adresser, et que, les deux comités ayant achevé tout le travail, on assemblerait alors pour la première fois le congrès, à la sanction duquel tout serait soumis. Ce projet avait visiblement pour but de rendre les quatre puissances qui se disent alliées maîtresses absolues de toutes les opérations du congrès, puisque, dans l’hypothèse où les six puissances principales se constitueraient juges des questions relatives à la composition du congrès, aux objets qu’il devra régler, aux procédés à suivre pour les régler, à l’ordre dans lequel ils devront être réglés, et nommeraient seules et sans contrôle les comités qui devront tout préparer, la France et l’Espagne même, en les supposant toujours d’accord sur toutes les questions, ne seraient jamais que deux contre quatre.

« Je déclarai que, sur un projet de cette nature, une première lecture ne suffisait pas pour se former une opinion, qu’il avait besoin d’être médité.