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poursuivre obstinément l’objet de son ambition particulière. M. de Metternich, avec son éminente sagacité, comprit le danger et trouva le moyen de le conjurer. Une ombrageuse jalousie de la France avait survécu dans le fond du cœur de tous nos ennemis à la chute du gouvernement impérial. En vain cette même France était maintenant vaincue, humiliée dans son orgueil et toute souffrante de ses récentes blessures, avec des finances épuisées et des frontières réduites; en vain elle avait accepté sans trop de déplaisance le retour de la dynastie de ses anciens rois, à coup sûr peu menaçante pour les trônes de l’Europe. La haine, la peur, ces sentimens si vivement excités par les guerres de la révolution et de l’empire, subsistaient toujours contre nous au sein des cours étrangères. Ils étaient là tout vivaces et comme personnifiés dans la multitude de ces ministres, de ces chefs d’armée, de ces hommes d’état de tous les grands et petits cabinets de l’Europe, réunis en ce moment dans la capitale de l’Autriche. On comprend que M. de Metternich ait rencontré une sincère adhésion, quand, à l’arrivée des ministres étrangers à Vienne, il se hâta de répéter à tous et à chacun que le plus important et le plus pressé était de s’arranger pour ne pas laisser la France s’ingérer au congrès dans la discussion des affaires qui, d’après les termes mêmes du traité de Paris, ne la regardait pas. Sur ce point, il rencontrait un assentiment complet. Il n’y avait embarras que pour la forme à donner à cette exclusion. Avant que M. de Talleyrand se fût rendu à son poste et quand on n’était pas encore gêné par sa présence, il fut décidé par deux protocoles formels, entre les plénipotentiaires de l’Angleterre, de la Russie, de l’Autriche et de la Prusse, qu’ils délibéreraient seuls sur la distribution des territoires enlevés par le traité de Paris à la France et à ses alliés en Pologne, en Allemagne et en Italie. A mesure qu’une résolution serait prise, ils devaient en instruire les plénipotentiaires de France et d’Espagne, qui seraient admis à donner leur avis et à présenter des objections : on les discuterait, mais les quatre cabinets alliés n’entreraient en conférence avec eux qu’après s’être mis complètement d’accord, et, en attendant les envoyés des six puissances, s’occuperaient ensemble des autres questions soumises au congrès, sauf à s’enquérir plus tard des opinions et des vœux des envoyés des autres états. Certes il était difficile d’imaginer un plan mieux calculé pour établir la prépondérance, que dis-je? la dictature de ce qu’on appelait alors les quatre, et assurer la complète annulation de la France.

Quelle politique allait cependant apporter au congrès cette puissance si redoutée, même dans sa faiblesse, et contre laquelle toutes les précautions avaient été si bien prises?