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et d’un fastueux état-major, ils étaient tous deux allés descendre au palais de l’empereur d’Autriche. Ce n’est point sans regret que François II avait dû faire à ses hôtes le sacrifice de ses goûts paisibles, et renoncer, pour les traiter avec magnificence, aux habitudes de sa vie de famille, d’ordinaire assez retirée et fort modeste. Les puissans chefs de la Russie et de la Prusse avaient eux-mêmes été précédés à la cour de Vienne par les rois de Danemark, de Wurtemberg et de Bavière. Derrière ces petits souverains munis d’un droit incontesté, qu’au plus haut degré de sa fortune l’empereur Napoléon n’avait jamais cessé de reconnaître, se pressaient la plupart des anciens électeurs et les titulaires ou ayans-droit de tous les grands et petits fiefs germaniques successivement abolis par les longues guerres de la révolution et de l’empire. Un seul faisait défaut parmi ces princes allemands impatiens de connaître leur sort, c’était le roi de Saxe, qui, retenu dans une forteresse prussienne, expiait dans une injuste captivité le tort impardonnable de s’être laissé surprendre trop tard dans notre alliance. Quant aux ministres étrangers, aux ambassadeurs ordinaires, envoyés extraordinaires et agens de tous les pays, chargés de toute sorte de missions authentiques ou secrètes, de réclamations collectives ou particulières, la foule en était innombrable. Il serait impossible aujourd’hui de les nommer tous; à Vienne même, on avait grand’peine à s’y bien reconnaître.

Il ne faudrait pas d’ailleurs s’imaginer que dans cette grave assemblée officiellement convoquée au milieu de la pédantesque Allemagne afin de résoudre tant et de si difficiles questions, il n’y eût alors de place que pour l’ennui des protocoles et pour les soucis de la politique. A lire le journal récemment publié de M. de Gentz, l’ancien publiciste de la coalition devenu le secrétaire du congrès, il semble même qu’avant l’ouverture définitive des délibérations, les esprits étaient à Vienne au moins aussi portés à s’occuper de plaisirs que d’affaires. Cela était, il faut en convenir, très naturel. Pour la première fois depuis la chute de son terrible dominateur, la société européenne se sentait en paix et respirait à l’aise. On s’était, il est vrai, déjà rencontré à Paris; on n’avait pas manqué cette occasion de s’y bien divertir, mais sans quitter entièrement l’appareil militaire. A Vienne, la diplomatie avait au contraire repris le pas sur la guerre. Les hommes d’état anciens adversaires de la France se sentaient là chez eux et sur leur propre terrain. Satisfaits de pouvoir sans nulle gêne communiquer entre eux, impatiens de s’entretenir des grands événemens qui venaient de s’accomplir, ils étaient surtout sincèrement charmés d’être appelés à resserrer entre tous leurs gouvernemens les liens d’une étroite et parfaite alliance. L’ennemi commun l’avait rompue au grand détriment de l’humanité, ils se